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Non, maman n’a pas droit au chômage

PAULE VERMOTDESROCHES CHRONIQUE pvermot@lenouvelliste.qc.ca

Valérie Patry n’a vraiment pas le coeur à la fête ces jours-ci. La Trifluvienne a récemment perdu son emploi dans le cadre d’une restructuration dans l’entreprise où elle oeuvrait depuis sept ans. Or, puisqu’elle revenait à peine d’un congé de maternité, la nouvelle maman a appris à sa plus grande surprise qu’elle n’avait pas le droit aux prestations d’assurance-emploi. Une situation qui avait déjà été décriée en janvier 2022, alors que le Tribunal de la sécurité sociale du Canada jugeait cette mesure discriminatoire envers les femmes. Mais puisque le gouvernement canadien a porté la cause en appel, les femmes et les hommes qui perdent leur emploi en revenant d’un congé parental continuent encore de se frapper le nez sur un mur.

Le 14 novembre dernier, la belle Nellie s’apprêtait à souffler sa première bougie sur son gâteau d’anniversaire. Sa maman était revenue progressivement au travail quelques semaines avant. Le jour de l’anniversaire de Nellie, Valérie a toutefois appris qu’elle n’avait plus de travail. Une restructuration qui faisait qu’elle et quelques autres collègues perdaient leur emploi.

Valérie Patry met tout de suite cartes sur table : elle ne veut pas entrer dans les détails de cette perte d’emploi. Elle ne souhaite pas non plus qu’on nomme son employeur sur la place publique. Pour elle, ça relève davantage d’une question de vie privée et elle souhaite faire les choses dans les règles de l’art. Par contre, la question de l’assurance-emploi demeure une question d’injustice pour l’ensemble des parents, et surtout des femmes, clame la jeune maman.

Dès qu’elle a commencé à collecter des renseignements pour déposer une demande d’assurance-emploi, Valérie a compris qu’elle n’y aurait pas droit. Pourquoi ? Parce que durant les 52 dernières semaines, elle n’avait pas cumulé suffisamment d’heures. Évidemment qu’elle n’a pas pu les cumuler : elle était à la maison et s’occupait de Nellie.

Pour avoir droit à des prestations d’assurance-emploi, un travailleur de la région de Trois-Rivières doit avoir cumulé 700 heures de travail au cours des 52 semaines précédant la demande. En gros, ça correspond à plus de 20 semaines travaillées à temps plein. Et ça, même si Valérie a été active sur le marché du travail depuis plus de 15 ans et a cotisé au régime durant tout ce temps.

Dans certains cas, cette période peut passer de 52 à 104 semaines, mais pour des motifs de prolongation très précis, dont par exemple les mesures liées au retrait préventif, ou encore à l’incarcération d’un travailleur qui n’aurait pas été reconnu coupable. Par contre, le congé parental n’apparaît pas dans ces motifs.

« Je suis pénalisée parce que j’ai bénéficié d’un programme gouvernemental provincial qui me permet de rester à la maison avec mon enfant. Mes collègues qui perdent leur emploi ont droit au chômage, mais moi je n’y ai pas droit parce que j’ai eu un enfant ? Je trouve que comme injustice, c’en est une très grosse. C’est une injustice qui pénalise les parents, mais spécialement les femmes, parce que ce sont majoritairement les femmes qui prennent le congé parental », est-elle d’avis.

C’est aussi ce qu’avait tranché, en janvier 2022, le Tribunal de la sécurité sociale du Canada, donnant ainsi raison à six mères et au Mouvement Action Chômage de Montréal, qui avaient porté la cause devant les tribunaux. Le Tribunal avait jugé que certaines dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi étaient inconstitutionnelles, parce qu’elles étaient discriminatoires à l’égard des femmes québécoises qui bénéficient du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP).

Le jugement stipulait notamment qu’il s’agissait d’une discrimination basée sur le sexe. « Parce qu’elles sont des femmes qui ont eu une grossesse, elles ne peuvent pas obtenir les avantages des autres assurés », indiquait le jugement, où l’on pouvait également lire : « Si une femme perd son emploi pendant son congé de maternité et parental, elle n’a plus de protection. Elle doit donc se fier à ses économies ou au revenu de son conjoint. Cela maintient les femmes dans la pauvreté et dans un lien de dépendance. C’est considérer les revenus des femmes comme un salaire d’appoint qui ne mérite pas la même protection. »

Cette victoire devait régler la question, mais la Commission de l’assurance-emploi et le gouvernement canadien ont fait porter la cause en appel, un appel qui a été entendu en mars dernier. À ce jour, le jugement se fait toujours attendre, relate Catherine Gendron, directrice générale du Mouvement Action Chômage de Trois-Rivières.

« Depuis plusieurs années, notre organisation répond à des femmes qui nous appellent à ce sujet. Il y a des cas dans notre région chaque année, et c’est partout pareil au Québec », confirme Mme Gendron, qui déplore que les femmes soient celles qui écopent le plus souvent de ce non-sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Un fardeau qui s’ajoute à d’autres, dont celui de la difficulté de trouver des places en garderie, ce qui entraîne parfois certaines femmes à quitter leur emploi pour rester à la maison avec leur enfant.

Pourtant, explique Catherine Gendron, il suffirait que le gouvernement canadien change les facteurs de motifs de prolongation pour y ajouter le congé parental. Une modification réglementaire qui ne demanderait pas de revoir la Loi sur l’assurance-emploi en profondeur... même si cette réforme est attendue depuis très longtemps.

Le député de Trois-Rivières pour le Bloc québécois, René Villemure, abonde dans le même sens et rappelle que son parti fait depuis longtemps pression pour que tout cela change. « Ce qu’on demande, c’est une prolongation de la période d’admissibilité pour l’ensemble de la population. Dans le cas de cette dame, on parle clairement d’une discrimination basée sur le sexe. D’autres catégories de travailleurs se trouvent également pénalisées, comme les travailleurs saisonniers par exemple. Le monde du travail a changé, et la Loi sur l’assurance-emploi doit pouvoir refléter la nouvelle réalité du marché du travail », est d’avis le député qui n’entend pas lâcher le morceau et dont le parti compte exiger des modifications réglementaires... en attendant une véritable réforme de cette loi.

Dans un courriel qui nous a été transmis, Emploi et développement social Canada nous a rappelé les règles entourant l’admissibilité à l’assurance-emploi. Ce ministère invite également « toutes les personnes qui vivent une perte d’emploi à utiliser Chercheur de prestations — Canada.ca pour les aider à trouver les prestations et les services auxquels elles pourraient être admissibles ». On ajoute : « L’engagement du gouvernement du Canada demeure de mettre en place un régime d’assurance-emploi modernisé, mieux adapté aux réalités du marché du travail et de la main-d’oeuvre d’aujourd’hui et de demain. » Une promesse que le Mouvement Action Chômage n’attend plus, on dirait.

« Ça fait plus de deux ans qu’on promet cette réforme. Il y a eu des consultations, puis... plus rien. Il n’y a rien qui se passe à Ottawa en ce moment sur ce dossier », se désole Catherine Gendron.

Valérie, elle, continue sa recherche d’emploi, afin de ne pas passer trop de temps sans salaire. Mais même si elle devait se replacer en emploi très bientôt, elle n’entend pas lâcher le morceau. Pour toutes les autres mamans qui doivent traverser ce qu’elle traverse.

« Tout ça, c’est de la politique. Mais moi je dis : de la politique, ça se bouge. Pourquoi ça ne bouge pas en ce moment ? Est-ce qu’on va attendre trois jours avant les élections pour nous refaire d’autres promesses ? Ça prend une vraie réforme, et arrêtez de porter les jugements en appel ! Les appels, ça peut prendre des années. Mais les femmes au Canada, c’est aujourd’hui qu’elles sont pénalisées », clame-t-elle.

« C’est une injustice qui pénalise les parents, mais spécialement les femmes, parce que ce sont majoritairement les femmes qui prennent le congé » parental

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