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LE DESIGN FAIT DES BULLES…

BENOIT GIGUÈRE

Avec le long congé des Patriotes, s’est installé l’été et ses terrasses. C’est à ce moment que la Vlimeuse, les Gros mollets, la Tante tricotante, le Snoreau, la Bretteuse, le Baron noir, la Tite-criss, la Corriveau, et l’Eau bénite prennent du soleil avec nous.

Au Québec, jusqu’à tout récemment, le nom et le design graphique des étiquettes de bières artisanales puisaient son inspiration dans un univers de légendes fantastiques fantasmées, d’un folklore alambiqué et dans un monde médiéval inventé de toutes pièces.

La bière est issue de la sédentarisation, de l’arrivée de l’agriculture. Elle est tributaire de traditions brassicoles millénaires. Elle est donc liée à une domesticité rustique et populaire, elle fait partie de l’ordinaire. Le vin introduit par les Grecs et les Romains est rare et coûteux à produire. C’est la boisson des puissants, des riches. Si le vin fait rêver de château et de noblesse, la bière doit faire rêver autrement. Elle propose le fantastique et le surréel.

LA BIÈRE TABLETTE

Au Canada, il existe plus de 1100 microbrasseries et selon l’Association des microbrasseries canadiennes, elles représentent 30 % du marché de la bière. Elles sont souvent produites avec de faibles budgets marketing. Comment faire pour se démarquer sur l’étalage de l’épicier, du dépanneur ?

Au Québec, la plupart des brasseries artisanales travaillent sur des marchés locaux auprès de consommateurs interpellés par un design davantage narratif, moins élitiste que celui du vin.

Le monde du design des étiquettes de bières artisanales québécoises était dominé jusqu’à tout récemment par des illustrations de légendes, personnages, scènes rustiques médiévales ou contemporaines. Le design en était réduit à accompagner ces illustrations dominantes d’une typographie soumises aux mêmes diktats : rusticité et écriture manuscrite. Si cela proposait des concepts tous plus originaux les uns que les autres rivalisant de créativité, elle ne permettait pas de distinguer un produit de manière significative et finalement l’amateur de houblon se confondait entre les différents produits. Or le design sert surtout à rendre unique, se démarquer de son concurrent, à se faire désirer et le cas présent à en faire deviner l’expérience gustative.

UN PAYSAGE GRAPHIQUE EN EFFERVESCENCE

Le paysage graphique de la bière artisanale s’est considérablement transformé depuis peu.

Probablement influencé par l’arrivée sur le marché de nombreuses autres bières importées au design d’étiquette particulièrement audacieux, créatif et sortant surtout de l’univers moyenâgeux dont s’était habillée une bonne partie de l’industrie de la bière artisanale d’ici.

Si les grands brasseurs industriels conservent leurs présentations figées dans le temps, le reste de l’industrie propose des designs parfois déroutants d’audace.

J’en retiens un en particulier : Martin L’Allier, un designer graphique devenu designer de bière. Ce graphiste-brasseur, prétend que la démarche pour créer en design ou en bière est similaire et que les différentes étapes du processus de création sont sensiblement les mêmes. « Personnellement, j’ai toujours préféré les communications qui sont à la fois sympathiques et qui font confiance en l’intelligence des consommateurs, en ne les infantilisant pas. La société québécoise n’est plus folklorique, comme ailleurs en Occident, nos codes visuels sont mondialisés. »

Martin en précurseur, a bouleversé très tôt l’univers graphique de la bière artisanale. Son entreprise montérégienne MonsRegius, qui commercialise de nombreuses marques, propose, en autre des canettes de Stouts impériaux qui affichent de véritables oeuvres d’art qui n’ont plus rien à voir avec l’univers médiéval auquel on nous avait habitués.

Ici nous sommes dans un univers parfaitement unique et singulier où règne des motifs, des textures donnant vie à des étiquettes presque parfaitement abstraites et qui semblent entièrement dénuées d’un narratif explicite. Les codes graphiques de l’industrie sont bouleversés, voire complètement révolutionnés.

SORTIR DU BOIS

Un autre brasseur, L’espace public, se démarque par un univers urbain à l’opposé de toute référence rustique ou rurale. Comme il se nomme brasseur de quartier, ses étiquettes représentent la réalité et le quotidien de la fleur de macadam. Elles sont l’oeuvre de l’entreprise de design montréalaise Featuring. Karl-Frédéric Anctil nous explique sa démarche : « Lorsque nous avons développé la nouvelle identité de l’Espace public, l’idée principale était d’ancrer la marque dans son milieu de vie, un quartier populaire. Donc ses référents sont très différents, disons, de ce qui se faisait alors, qui était assez folklorique. Le but était d’avoir une identité simple, sympathique, sans prétention et qui attire tout de suite l’oeil en succursale. Le pigeon est devenu l’emblème de la marque et l’impact visuel de couleurs franches en bloc permet de se démarquer très bien. »

Définitivement, l’univers graphique de la bière artisanale a fini par contaminer le reste de l’industrie brassicole, même industrielle. Désormais la modération n’a plus la cote et la créativité des designers est mise à contribution pour créer des univers singuliers et originaux. Des marques comme Boréale, commercialisées par Les Brasseurs du Nord qui vendent plus de 30 millions de bouteilles par année ont entièrement repensé le design des étiquettes de certains de ses produits afin de présenter une image davantage artisanale. C’est la firme LG2, avec des bureaux à Québec en autre, qui est à l’origine de ses emballages.

BON AU GOÛT, BON POUR LA VUE

Les tablettes des supermarchés, des dépanneurs et de nos boutiques spécialisées sont devenues de véritables musées vivants du design graphique. On y observe, admire et découvre des créations toutes plus stimulantes et captivantes les unes que les autres.

Le design graphique de l’industrie brassicole fermente. Grâce à lui, notre itinéraire hebdomadaire à l’épicerie où les étalages de bière sont devenus omniprésents et presque incontournables peut transformer ce rituel ménager ennuyeux en un parcours de découvertes visuelles enivrantes !

Osez-vous imposer une visite dans une boutique spécialisée, juste pour le plaisir des yeux.

Santé !

Un grand classique de la famille Soucis : https://www.youtube.com/watch?v=AD7s5eDVwUo

À visiter : L’exposition Frette ou tablette – 400 ans de bière au Québec est présentée jusqu’au mois de juin 2023 au Musée d’archéologie du Roussillon à La Prairie.

Graphiste de formation, originaire de Québec, Benoit Giguère a commencé sa carrière dans différentes agences de communication avant d’être embauché à La Presse où il a piloté tout le volet graphique de la transformation numérique du journal. Il est aujourd’hui vice-président à l’agence de marque BrandBourg et écrit régulièrement une chronique sur le design dans nos pages.

LE MAG

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2023-05-27T07:00:00.0000000Z

2023-05-27T07:00:00.0000000Z

https://ledroit.pressreader.com/article/282475713202108

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