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Péréquation : Québec, le mendiant de la confédération?

DANIEL GERMAIN CHRONIQUE dgermain@cn2i.ca

Par rapport à la finance personnelle, c’est comme si je vous conviais à une excursion dans la banlieue lointaine, là où l’autobus ne se rend pas et où ils font de la poutine avec du fromage râpé : la péréquation.

Aucun rapport avec votre portefeuille, pensez-vous? Un peu, quand même, puisque le Québec en retire cette année 14 milliards $ de revenus sur une enveloppe de 24 milliards $. C’est un troisième lien avec les dépassements de coût et une marge d’erreur supplémentaire. Par année. C’est plus de huit fois les baisses d’impôt accordées par Eric Girard dans son dernier budget. Par année.

Outre un sujet de chicane récurrent entre les provinces canadiennes, la péréquation est un système de partage de revenu qui sert à atténuer les écarts de richesse entre les provinces. Au premier coup d’oeil, Québec peut à cet égard avoir des allures de guenillou.

Vous direz que je ne suis pas tout à fait en phase avec l’actualité en ramenant la question sur le tapis aujourd’hui. Je ne suis pas si déconnecté que ça, une étude a été publiée cette semaine, voilà une belle occasion de parfaire nos connaissances sur le sujet, vous et moi. Sans prétendre que la compréhension du système est essentielle à votre bonheur, elle peut s’avérer utile lors de vos prochaines vacances dans les Rocheuses. Vous pourriez toujours tomber sur un Albertain qui prétendra qu’il vous entretient, puisque sa province est un contributeur net au programme alors que le Québec en est le plus important bénéficiaire.

La Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke a fait paraître jeudi un cahier de recherche intitulé Les enjeux de la péréquation. Le prétexte de cette publication repose sur une révision législative dont fera l’objet le programme dans moins d’un an, des changements qui s’annoncent mineurs. Le document de 37 pages, signé par Louis Lévesque et Yves St-Maurice, vise à mieux faire comprendre ce programme administré par le fédéral.

La péréquation remonte à loin, elle existe au Canada depuis 1957, un système enchâssé dans la Constitution depuis 1982. L’idée derrière ça, rappellent les auteurs, consiste à donner accès à des services équivalents aux citoyens de toutes les provinces malgré la disparité dans la capacité de ces dernières à payer. En entretien, Louis Lévesque me fait remarquer que c’est essentiellement ça, le rôle du gouvernement fédéral. «Il offre peu de services en comparaison des provinces, son activité principale, c’est de percevoir des revenus et de redistribuer cet argent à travers des programmes sociaux. La péréquation s’inscrit dans cette logique.»

Un tel système de transfert entre régions est appliqué ailleurs dans d’autres états fédéraux, ou un gouvernement central chapeaute des gouvernements régionaux, l’étude cite l’Australie, l’Allemagne, la Suisse et l’Espagne. Sans mécanismes de redistribution, les régions plus riches pourraient offrir plus de services et de meilleure qualité, ce qui finirait par attirer une partie des populations des voisins moins nantis. Au Canada, la province la plus prospère, et de loin, est actuellement l’Alberta, et sa richesse repose essentiellement sur des attributs géologiques, soit des réserves importantes de gaz et de pétrole.

Avec un sourire malicieux, le collègue Paul-Robert Raymond m’a mis au défi en réunion de vous expliquer la formule de compensation. Comme j’ai de la sympathie pour mes lecteurs, moi, je ne vous infligerai pas cette démonstration. Toutefois, voici les principes de l’affaire :

Une cagnotte, dont l’ampleur évolue en fonction du PIB du pays, est constituée avec de l’argent du Trésor fédéral. Cette année, c’est 24 milliards $, une somme à laquelle contribuent les Québécois via les taxes et les impôts. Contrairement à certaines croyances, l’Alberta n’envoie pas d’argent au Québec.

Pour chaque province, on calcule une capacité fiscale par habitant et on fait une moyenne. Les provinces qui se situent sous la moyenne sont compensées de manière à combler l’écart avec la moyenne, et non avec les provinces les plus prospères. L’Alberta demeure largement plus riche que le Québec malgré les mécanismes de redistribution. L’Ontario se trouve sur la clôture. Nous ne sommes pas tellement loin derrière.

59 % DE L’ASSIETTE

Cinq provinces touchent des revenus de la péréquation. Parmi elles, le Québec reçoit les plus faibles montants par habitant, mais en raison de sa forte population, il s’empare de 59 % de l’assiette.

La capacité fiscale des provinces est établie à partir de deux sources de revenus : les taxes et les impôts d’un côté, puis les recettes tirées de l’exploitation des ressources naturelles de l’autre. C’est à ce niveau que la formule de compensation devient compliquée.

Signalons toutefois ce détail, important pour la suite de l’histoire : pour ce qui est des taxes et des impôts, la formule tient compte de ce qui PEUT être perçu. Par exemple, l’Alberta ne récolte pas de taxes à la consommation, mais dans les calculs, c’est comme si elle en ramassait. Dans le cas des ressources naturelles, on applique les revenus réels. On parle ici du pétrole, du gaz, des mines, des forêts et de l’hydro-électricité.

C’est sur ce point que nos voisins remettent en question la part que nous recevons du programme. Le Québec retire 78 % de tous les revenus d’hydro-électricité au pays. Il a choisi de vendre cette énergie aux prix les plus bas du continent, autant aux particuliers qu’aux entreprises. Si Hydro-Québec augmentait ses tarifs pour les amener à des niveaux comparables à ceux des voisins, les revenus supplémentaires ne compenseraient jamais les pertes en péréquation, qui seraient substantielles. Autrement dit, c’est parce que l’électricité est trop bon marché ici que nous percevons autant de revenus du programme de redistribution, disent les critiques.

Je souligne ce point de discorde, car c’est un des reproches les plus souvent évoqués. Il y en a d’autres, à commencer par sa complexité et le fait qu’il ne tienne pas compte de la disparité du coût de la vie, d’une province à l’autre. Le système de péréquation canadien est certainement perfectible, mais comme bien des éléments enchâssés dans la Constitution, il fera toujours l’objet de tensions. Et ce n’est pas demain la veille qu’il sera réformé.

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2023-05-27T07:00:00.0000000Z

2023-05-27T07:00:00.0000000Z

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