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LE PIÈGE BUREAUCRATIQUE DE LA COVID LONGUE

JUSTINE MERCIER jmercier@ledroit.com

La COVID longue ne vient pas seulement avec des symptômes imprévisibles qui nuisent à la qualité de vie. Elle peut également représenter un véritable casse-tête bureaucratique. Kathleen Michaud en sait quelque chose. De l’assurance-emploi à son assurance collective, en passant par ses employeurs, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST), le réseau de la santé ou encore son assurance hypothécaire, elle se retrouve prise dans un piège qui l’empêche de toucher un sou depuis près de quatre mois.

Enseignante en sciences, la Gatinoise Kathleen Michaud est convaincue d’avoir contracté la COVID-19 une première fois au printemps 2020. Elle n’a toutefois pas pu se faire tester à l’époque, puisque le dépistage était offert seulement aux gens revenant de l’étranger. Cette fois-là, ses symptômes se sont résorbés de manière habituelle.

En mars 2022, elle a eu un résultat positif à un test rapide. À ce moment-là, c’est un mal de gorge qu’elle a d’abord ressenti. Ne souhaitant pas transmettre le virus et n’étant pas en mesure de se faire remplacer, elle a donné un cours de manière virtuelle. Ensuite, «ça a complètement dégénéré», racontet-elle. À la fin de son cours, elle n’était «plus capable de suivre». «Je ne me rendais pas compte du tout de l’ampleur que ça prenait et j’ai continué à essayer de fonctionner normalement, mais c’est la pire chose qu’on peut faire», réalise-t-elle aujourd’hui. Elle sombrait «dans un brouillard cérébral incroyable», au point où elle n’arrivait plus à parler correctement.

Alitée presque en permanence, cette mère monoparentale devait compter sur ses deux adolescentes pour boire et manger. Pendant trois semaines, elle était «complètement out». Si faible qu’elle n’avait pas la force de consulter un médecin. Elle a ensuite pu se rendre dans une urgence, où elle a pu obtenir un billet attestant qu’elle n’était pas en mesure de travailler. Elle a finalement passé trois mois en arrêt de travail, avant de pouvoir entamer un retour progressif à la fin juin. L’été a été «très difficile». La lumière, entre autres, la faisait souffrir. Sa cornée était «comme un champ de crevasses», s’est-elle fait dire chez l’optométriste. Elle doit, encore aujourd’hui, porter des lunettes lui offrant une protection particulière et mettre la luminosité de son écran d’ordinateur au minimum.

LA RECHUTE

Kathleen Michaud a ensuite changé d’employeur et a recommencé à enseigner à l’automne. La fatigue se faisait sentir. «Je dormais une heure chaque jour en revenant du travail», se souvient-elle. Mais au retour du congé des Fêtes, en janvier dernier, son corps ne suivait plus. Des tremblements sont apparus. Les bras, les mains, les jambes.

Elle avait alors perdu son médecin de famille, mais «le système» lui en avait attribué un autre qu’elle n’avait «pas vu depuis des lustres» au sein de la même clinique ontarienne. Incapable de joindre quelqu’un dans le réseau de la santé de l’Outaouais pour réussir à s’inscrire au Guichet d’accès à un médecin de famille, c’est vers l’urgence de Shawville qu’elle s’est dirigée. Elle a d’abord été placée en arrêt de travail pendant un mois, puis un autre, puis un autre. Elle n’est pas encore retournée travailler. Mais partout où elle cogne, des embûches se présentent.

À force de demander, Mme Michaud a pu trouver comment se faire inscrire sur la liste de patients en attente d’un médecin de famille, ce qui lui a ouvert l’accès à des consultations via le Guichet d’accès à la première ligne – non sans avoir parfois attendu quatre heures au téléphone. Elle a finalement pu obtenir une référence pour voir un neurologue à l’Hôpital de Hull. «C’est le meilleur médecin que j’ai jamais vu, souligne-t-elle. […] Il a fini par me dire que c’était la COVID longue.»

Un examen d’imagerie par résonance magnétique n’a rien démontré d’anormal. Mais les symptômes persistent. «La digestion me demande beaucoup d’énergie, donne-t-elle en exemple. […] Des fois, ça ne passe pas et je vomis.» La qualité du sommeil laisse à désirer. Rien pour aider à l’état de fatigue chronique dans lequel elle se trouve.

Elle a soumis une requête au réseau pour avoir accès à une clinique de COVID longue, une ressource qui n’existe pas en Outaouais à l’heure actuelle. «Pour avoir une vie plus normale, je me déplacerais, affirme Kathleen Michaud. Je serais capable d’aller à Montréal, mais il faudrait que je dorme là-bas. L’aller-retour d’un seul coup, si je le fais, je vais être finie pour trois ou quatre jours.»

AUCUN REVENU

En plus d’avoir à conjuguer avec l’accès difficile au réseau de la santé, Mme Michaud doit se dépêtrer auprès d’une foule d’intervenants dans l’espoir d’obtenir des revenus pendant son invalidité.

D’un côté, elle a appris que son infection à la COVID-19 pourrait être considérée comme un accident de travail. Mais elle l’a appris trop tard. La CNESST n’a pas analysé sa demande parce qu’elle a été soumise «hors délai». De l’autre côté, en appelant sa compagnie d’assurance collective, on lui a d’abord dit que les documents requis n’avaient pas été reçus, pour ensuite lui dire qu’ils étaient bien arrivés, mais qu’il en manquait un. Elle est toujours en attente d’un suivi.

«J’ai hâte de pouvoir juste me reposer pour aller mieux. […] Depuis la COVID, je ne veux même pas compter combien d’argent j’ai perdu.»

— Kathleen Michaud

Pour le délai de carence avant de pouvoir potentiellement toucher de l’assurance invalidité, Kathleen Michaud devait se tourner vers l’assurance-emploi. «Mais ils ne veulent rien me donner tant qu’ils ne savent pas quels montants je pourrais recevoir [d’ailleurs]», déplore-t-elle.

Résultat: «Depuis le 3 février, je n’ai pas une cenne qui rentre.» Sans revenu depuis l’hiver, elle se retrouve avec une marge de crédit hypothécaire presque remplie. «À un moment donné, c’est le malade qui se bat pour sa santé, il se bat pour survivre, dénonce-t-elle. J’ai hâte de pouvoir juste me reposer pour aller mieux. […] Depuis la COVID, je ne veux même pas compter combien d’argent j’ai perdu.»

À travers tout ça, un ami lui a fait remarquer qu’elle avait peutêtre une assurance invalidité liée à son prêt hypothécaire. Kathleen Michaud vérifie et constate qu’elle paie effectivement des primes pour une telle assurance devant couvrir ses paiements en cas d’invalidité. Mais l’institution financière lui a appris qu’elle n’était pas couverte et que les primes étaient prélevées par erreur. Même si deux employés lui ont d’abord confirmé qu’elle était couverte, tout ce qu’on lui offre aujourd’hui, c’est de lui rembourser les primes.

À l’heure actuelle, Kathleen Michaud se considère chanceuse d’avoir un minimum d’énergie pour naviguer dans toute cette bureaucratie. «Je n’aurais jamais été capable de me dépêtrer dans tout ça il y a quelques mois, ditelle. Mais je ne suis sûrement pas la seule qui a été dans cet étatlà et je ne suis sûrement pas la seule non plus qui n’a personne [pour l’aider].» Elle se sent aussi mal d’être absente du boulot. «La honte, la gêne, la culpabilité que je ressens d’avoir laissé mes collègues et mes élèves, c’est immense», souligne-t-elle.

En témoignant à visage découvert, la Gatinoise souhaite que ça fasse en sorte que d’autres personnes se trouvant dans une situation similaire «n’aient pas à se battre autant». De son côté, elle garde espoir d’obtenir des réponses positives quelque part afin de pouvoir continuer à subvenir à ses besoins et à ceux de ses filles.

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