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Les écoles sonnent la cloche

DANIEL LEBLANC dleblanc@ledroit.com

«Une école, on n’y entre et sort pas comme dans un moulin. […] Les valeurs de l’éducation ont changé avec les années. Ton enfant doit être à l’école du lundi au vendredi, à l’heure».

Directrice de l’école des Cépages, à Gatineau, Nancy Lamothe ne met plus de gants blancs lorsqu’on lui parle des retards – qu’il s’agisse de cinq minutes voire d’une demiheure –, devenus de nos jours un véritable fléau dans les écoles primaires et secondaires, lesquelles doivent multiplier les messages de sensibilisation.

À certains endroits, c’est 3%, dans d’autres on parle de 5%, parfois même 10%. Et la problématique, banalisée et balayée sous le tapis par nombre d’ados et parents, dépendant à qui incombe la part de responsabilité, se traduit en une gestion «incroyable» et une perte de temps qui, lorsque mis bout à bout et se répètent au quotidien, a des impacts néfastes sur tous les élèves et le personnel scolaire.

Difficile de mettre le doigt avec exactitude sur le moment où le vent a tourné, mais Mme Lamothe, qui parle «d’une minorité qui nous gruge», est d’avis que ponctualité a perdu de son lustre, s’est effritée comme valeur au fil du temps. Et ce qui se passe dans les écoles est en quelque sorte le reflet du reste de la société, qu’on le veuille ou non.

«À l’époque, disons en 1998 ou 1999, on n’avait pas tant de retards et il y avait une importance pour les parents que leur enfant soit à l’heure. Et plus les années ont avancé, plus ç’a changé. Je me rappelle que lorsque j’étais à mon autre école, les retards, ça ne finissait pas. Ce n’est pas pris au sérieux. [...] Nous, notre mission, c’est instruire, socialiser et qualifier, mais on est imputables aussi, donc l’enfant doit faire 180 jours d’école par année tout en étant assis sur les bancs d’école. Ici, la cloche sonne à 8h15 mais quand j’en ai qui arrivent à 8h20, 8h25, 8h30, 8h35, 8h40, avec les parents qui viennent à tour de rôle, la secrétaire ne fait que cela, alors qu’elle a bien d’autres tâches. […] Même parmi nos jeunes employés, parfois on doit leur rappeler que si tu commences à 7h30, tu n’arrives pas à 7h30», s’exclame la directrice.

La situation complexifie aussi passablement la tâche des enseignants en classe, rappelle-t-elle, précisant que plusieurs établissements demandent dorénavant, si possible, de ramener leurs enfants dont le retard est motivé (rendezvous, etc) entre deux battements, par exemple à l’heure de la récréation ou d’une pause, pour minimiser le dérangement.

«L’élève qui arrive 5-10-15 minutes en retard, si on en a trois ou quatre dans le même groupe, l’enseignante est obligée sans cesse de recommencer et ça dérange tout le monde. Si c’est quasiment au quotidien que nous avons ça dans nos classes, on s’en va où? Déjà qu’on n’a pas beaucoup de temps pour passer nos maths et le français, alors qu’on dit que la langue est laissée pour compte et qu’on tape sur le clou pour que nos enfants aient tous les acquis pour cheminer. Nous sommes imputables. […] D’être à l’heure, ponctuel, c’est une responsabilité parentale, quand ton enfant est au primaire. Oui, en 5e ou 6e année, par exemple, on commence à leur donner un peu plus de latitude, mais on appelle à la maison si l’élève n’est pas arrivé», explique-t-elle.

Mme Lamothe ajoute qu’on «joue cartes sur table» lorsqu’il y a une problématique qui perdure dans le temps et que dès le troisième avis, les parents sont rencontrés. S’il n’y a aucune collaboration parentale, l’école peut aborder, au cas par cas, la Loi sur la protection de la jeunesse.

«On gère ça à la pièce. Souvent, ce sont les mêmes qui sont en retard et ce n’est pas un motif de compromission pour la DPJ que d’être en retard, alors si dans la pyramide de Maslow, on répond à ses besoins, s’il est nourri, logé, habillé, qu’on prend soin de lui; il y a des parents qui nous disent: ‘oui, mais il est juste en retard, ce n’est pas grave’», mentionne-t-elle, précisant qu’un enfant se sent souvent mal à l’aise d’arriver après ses camarades.

Malgré le message qu’elle tient à lancer pour sensibiliser à ce fléau qui s’avère une grosse béquille, la directrice d’établissement tient également à souligner à grands traits que «la majorité des parents sont excellents, (nous) appuient, travaillent conjointement avec l’école».

«Mais les autres qui nous tirent toujours vers le bas, ça nous gruge énormément de temps, alors c’est difficile, laisse-t-elle tomber. Ce n’est pas ça l’école, l’éducation doit être une priorité pour les parent, si ce l’est, ça va le devenir pour les élèves, nous sommes des modèles.»

SE RÉVEILLER TROP TARD

Chez les jeunes du secondaire, les retards sont une réalité tout aussi

présente même si les enjeux ne sont pas identiques, confirme Catherine Dubuc, directrice de l’école secondaire de la Cité, à Gatineau, qui chiffre entre 5 et 7% le taux de retardataires au jour le jour. Pour ce nouvel établissement de petite taille, cela représente entre 35 et 50 élèves. Et l’arrivée du beau temps accentue ce problème.

«Ce qui est le plus important dans les retards, ce sont ceux du matin, parce qu’on prend les présences à la période. C’est sûr que nous sommes une école de marcheurs, alors la raison de l’autobus ne vient pas très souvent. Mais ils réussissent à nous la sortir parce que lorsqu’il ne fait pas beau ou qu’il fait froid, ils prennent l’autobus. La principale raison qui revient et qu’on constate c’est vraiment qu’ils se sont levés trop tard pour arriver à l’heure, c’est le sommeil. Je n’entends pas d’autres raisons. Ils n’ont pas besoin de nous le dire, on le voit aussi avec l’oreiller (le lever est récent). Ils se sont couchés tard, n’ont pas dormi de la nuit parce qu’ils ont joué à des jeux vidéo, d’autres sont sur les réseaux sociaux», dit-elle.

Son collègue directeur adjoint, Joffrey Huguet-Latour, souligne que certains élèves sont parfois dans la cour d’école bien avant la cloche mais se présentent tout de même en classe en retard.

«C’est sûr que la première approche qu’on a, c’est d’essayer de faire de la prévention, en tout cas d’essayer de mettre un accueil bienveillant à l’école. Le matin, ça sonne à 8h10 et les cours commencent à 8h15, alors l’ensemble du personnel de soutien est au rez-de-chaussée, on accueille les élèves avec des salutations, on leur demande comment ça va. On évolue beaucoup dans la prévention, les rappels, de savoir s’il y a des stratégies qu’ils peuvent adopter, par exemple de mettre leur cellulaire sur vibration, de couper Internet dans leur chambre», explique Mme Dubuc.

N’empêche, spécifie-t-elle, après des avertissements, des rencontres avec les TES et une communication aux parents, on doit à un moment ou un autre sévir avec des conséquences – de la reprise du temps à l’heure du dîner, par exemple – car la prévention et l’encouragement n’ont pas les effets escomptés, en particulier chez les récalcitrants.

Même si on s’assure que les parents soient au courant des enjeux, on essaie au secondaire de faire porter la responsabilité sur les épaules des jeunes, soutient la directrice, pour qu’il prenne conscience lui-même du problème.

«Dans le fond, on forme de futurs citoyens, on essaie beaucoup de leur dire: quand tu seras rendu sur le marché du travail, qu’est-ce que ton employeur va dire quand tu arrives 5, 20 minutes en retard? Tu es supposé avoir une heure de début, il s’attend à ce que tu sois là. On essaie de faire ce parallèle-là. Car la responsabilité est différente, l’emprise sur son enfant aussi. Un ado qui ne met pas son cadran, qui fait le choix de se coucher à 3h du matin, le parent a beau vouloir mettre toutes les conditions (gagnantes), si son ado fait ce choix-là, c’est plus difficile», affirme Mme Dubuc, qui souligne que plusieurs parents partagent leurs préoccupations avec l’école et se sentent parfois dépourvus.

«Au bout de la ligne, à part de gruger beaucoup de temps à tout le monde, il n’y a pas d’effets positifs. Ils la font (la reprise de temps), on n’a pas besoin de courir après eux, mais ça ne change pas le comportement», lance-t-elle.

M. Huguet-Latour pense lui aussi que la notion de ponctualité s’est désagrégée chez les générations actuelles.

«C’est vraiment une impression, je n’ai rien pour appuyer ça sur des faits, mais je dirais que oui, il y a un genre de désengagement, de laisseraller où on se dit: bah, ce n’est pas grave finalement si je suis en retard. Et lorsque tu leur en parles, ils n’en voient pas la gravité, le fait que ça dérange le prof, le reste du groupe, que ça nuit à leurs apprentissages», dit-il.

LE PHÉNOMÈNE CAMPING

Pour ajouter aux retards, un autre «désengagement» de certains parents envers l’école s’avère le «phénomène» des départs hâtifs les vendredis dès que le soleil et la chaleur sont de la partie. Pour plusieurs, c’est direction camping ou chalet.

«Moi, à partir de 14h, alors que la cloche (de fin de journée) est à 15h30, ça sonne (à l’entrée). Les parents pensent que le vendredi après-midi est toujours une période libre mais ce n’est pas toujours le cas et il y a aussi des choses qu’on enseigne avec la socialisation, les jeux de société, c’est structuré. Ça peut àêtre ne serait-ce que de faire le ménage de son bureau pour être prêt lundi matin, on s’organise», décrit Nancy Lamothe, ajoutant que, même si on ne compare pas «des pommes avec des pommes», le Québec gagnerait à s’inspirer de certains pays européens comme la Finlande où la fréquentation scolaire est suivie de façon extrêmement serrée et où les retards sont très mal vus.

Soutenant qu’il y a un certain «laxisme» de la société à l’égard de l’importance de l’éducation, la directrice a également un avis bien arrêté sur la question des tournois sportifs (excluant le sport-études) qui débutent souvent les jeudis ou vendredis, causant de l’absentéisme en classe.

«Ça ne devrait pas être permis, ça devrait être les week-ends, quitte à les étaler sur deux week-ends. Ça ne devrait jamais empiéter sur le temps de classe, la priorité devrait être là, définitivement. Il y a un déséquilibre de priorités. On a du travail à faire avec les parents, mais aussi les dirigeants des sports. L’éducation ne devrait jamais écoper au détriment des tournois sportifs. Il n’y a pas une direction qui ne serait pas en accord avec ça. Finalement, ce n’est pas le peuple ou la société qui se gouverne en fonction de l’éducation, c’est l’éducation qui se gouverne en fonction des besoins des parents et des élèves à l’extérieur des heures de classe. Pourtant, ça devrait être l’inverse», conclut-elle.

«Ce qui est le plus important dans les retards, ce sont ceux du matin, parce qu’on prend les présences à la période.» — Catherine Dubuc

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