LeDroitSurMonOrdi.ca

VÉRONIQUE RIVEST

par Ani-Rose Deschatelets / Le Droit

La sommelière Véronique Rivest veut tout simplement protéger son bar à vin Soif et lui permettre de continuer à créer de la vie au coeur du Vieux-Hull. Même s’il faut, pour cela, confronter un grand promoteur immobilier.

LA FEMME D’AFFAIRES ET RESTAURATRICE VÉRONIQUE RIVEST a une maîtrise en commerce international, un baccalauréat en littérature, un restaurant et des fans un peu partout sur la planète où elle a gagné toutes sortes de concours prestigieux en sommellerie, sa passion.

Mais militante de la défense des petits commerces contre les géants immobiliers ? Ça, ce n’était pas au programme, jusqu’au jour où elle a pris son courage à deux mains pour affronter un promoteur voulant l’obliger à déménager son restaurant, le populaire Soif, ouvert en plein centre de l’ancienne ville de Hull il y a huit ans.

L’histoire est complexe et n’est pas terminée, mais en gros, l’immeuble où elle loue un espace, le 86-88 de la rue Montcalm, est dans la mire de l’homme d’affaires Pierre Brisson, qui estime avoir obtenu une entente avec la propriétaire pour pouvoir l’acheter. Les projets de M. Brisson pour l’édifice forceraient Soif à plier bagage pour une longue période. Mais une clause portant sur une option d’achat au nom de Mme Rivest, dans le bail de la sommelière, lui donne priorité, selon le tribunal, qui a rendu un premier jugement dans ce dossier, novembre dernier.

Donc la sommelière pourrait se lancer dans l’immobilier pour acheter l’immeuble ?

« La seule chose qui motive l’achat du bâtiment, puisque j’ai une offre d’achat signée, c’était d’assurer la pérennité de Soif. Je n’ai pas envie de me lancer en immobilier », répond-elle.

Et puis la décision du tribunal a été portée en appel par M. Brisson et selon Véronique Rivest, il faudra encore des années avant que ce dossier soit finalement réglé. « On a attendu plus de deux ans pour le premier jugement. [...] Je ne pouvais pas laisser ça planer au-dessus de ma tête. Il fallait en faire abstraction. Mais là on est repartis pour selon moi un autre deux ans d’incertitudes. »

Mais à travers tout cela, le courage s’impose encore, celui de continuer à pratiquer son métier de restauratrice et de sommelière surtout.

« Entrepreneure, restauratrice, ça a huit ans, lance-t-elle. Mais sommelière, ça fait 30 ans que je fais ça ! »

Née et élevée à Hull, Mme Rivest ne croit pas avoir eu un moment d’illumination, quelque part dans sa vie, lui indiquant qu’il lui fallait se lancer en sommellerie. C’est un ensemble de rencontres, d’emplois et d’expériences qui, tranquillement, ont permis à l’idée de se frayer un chemin. « On m’a souvent interrogée sur mes débuts, sur comment ça a commencé. Et je réponds toujours que je n’en ai aucune idée », explique-t-elle en riant. « Je ne me suis jamais réveillé un matin en me disant “je vais devenir sommelière”. Je ne savais même pas ce que c’était pendant longtemps. »

Avant de laisser sa marque en sommellerie, elle a fait des études supérieures dans le but d’avoir un plan de vie plus « sérieux », soutientelle, dont un baccalauréat en littérature moderne, des études d’allemand et d’espagnol, puis une maîtrise en commerce international.

« J’ai eu mon premier job en restauration à 16 ans et je suis tombée amoureuse de la restauration. Alors il y avait ces deux chemins parallèles. Je poursuivais mes études tout en travaillant en restauration dans le marché By, à Ottawa. »

Mais la quinquagénaire se rappelle quand même certains moments marquants qui l’ont initiée à la sommellerie. C’est en France, où elle a habité pendant huit ans dans la vingtaine, qu’elle plonge directement dans l’univers vinicole. « J’ai trouvé un emploi chez un vigneron. C’était la première que je me trouvais vraiment dans le monde du vin, dans la production, au début de la vingtaine. Et ça a été un gros coup de coeur. »

Renommée

La réputation de Mme Rivest en sommellerie n’est plus à faire. Au fil des ans, elle a cumulé prix et distinctions. Mais cette reconnaissance est loin d’être le fruit du hasard, croit-elle.

« Je crois beaucoup à la formule 90 % de travail et 10 % de talent. Je ne suis pas particulièrement talentueuse au niveau du nez ou du palais. Mes compétitions internationales, c’était comme être une athlète olympique mais pendant 10, 12 ans. Je travaillais fort et je suis consciente des efforts que j’ai faits. »

Si on lui avait dit, il y a quelques décennies, qu’elle remporterait plusieurs distinctions de haut niveau, jamais elle ne l’aurait cru. Parmi ces prix, on compte la deuxième place au Concours du meilleur sommelier du monde à Tokyo, en 2013 deux fois plutôt qu’une le titre de meilleur sommelier du Canada, en 2006 et 2012, le titre de sommelière de l’année au Gala de la gastronomie québécoise en 2019, sans compter le titre de Meilleur sommelier des Amériques en 2012.

« Quand j’ai fait mon premier concours de sommellerie, je n’avais aucune idée de ce que c’était. Je revenais de France, j’avais été absente pendant plusieurs années. Et le concours je voyais ça comme une façon de rencontrer tout le monde dans le milieu de la restauration et du vin ici, parce que je ne connaissais personne. Mais je n’étais pas certaine de réussir dans ce monde-là et je ne savais même pas réellement si c’était fait pour moi. Je trouvais que c’était un milieu snob et arrogant qui ne correspondait pas à qui je suis. »

Avoir fait sa marque dans le domaine vinicole sans renoncer à ses valeurs et en restant qui elle est, constitue une grande fierté pour Véronique Rivest. « J’ai eu beaucoup de plaisir à voir le métier évoluer dans ce sens-là au cours des 20 dernières années. »

Soif

Pour Mme Rivest, le vin est bien plus qu’un liquide. C’est quelque chose qui est chargé d’histoire, de culture, de tradition. Pour pouvoir faire découvrir des vins à son image, elle ouvre en 2014 Soif-Bar à vin, dans le Vieux-Hull.

Véronique Rivest ne prenant pas de décisions sur un coup de tête, l’ouverture de Soif a été mûrement réfléchie pendant une dizaine d’années. « À un moment donné, quand on aime vraiment ce qu’on fait, c’est l’envie d’avoir un endroit à son image, où je pouvais partager, qui s’est imposée. Là, c’est un bar à vin et c’est mon bar à vin. »

Après avoir travaillé d’arrache-pied pendant plusieurs années, Mme Rivest peut aujourd’hui affirmer que Soif a atteint une vitesse de croisière agréable. Et avoir pignon sur rue dans le centre-ville de Gatineau a une immense valeur symbolique pour la sommelière. « Je suis une fille de Hull. J’ai grandi à Val-Tétreau. J’y tiens beaucoup, au centre-ville. C’est très personnel. »

Mme Rivest ne peut pas s’en cacher, elle se désole toutefois de voir présentement certains restaurants du secteur fermer. « C’est toujours un peu déchirant. [...] Chaque fois qu’un nouveau restaurant ouvre, quelqu’un dit que ça fait de la compétition. Mais non, au contraire, ça fait du dynamisme. Avec Soif, j’ai passé au travers et je continue à me battre pour que ça survive pour plein de raisons. Mais je continue à avoir plein d’activités en dehors de Soif. Ce n’est pas mon seul job. » Pour l’instant, Soif va bien, mais personne n’est à l’abri.

Et la bataille légale freine d’autres plans qu’elle a envie envisager. « J’aimerais continuer à investir dans le centre-ville. Il y a d’autres projets qui pourraient voir le jour. Pour l’instant je trouve ça terriblement dommage. On parle de revitaliser le centre-ville et il faut des entrepreneurs prêts à le faire. Moi, j’ai toute la volonté et la motivation de le faire, mais quand des choses comme ça arrivent, ça [freine]. »

Même si elle se dit assez confiante de gagner sa cause à nouveau, l’incertitude n’est jamais bien loin. « Soif, ça nous a pris huit ans pour nous rendre là. Si on perd la cause et qu’on doit recommencer à zéro, on n’a pas les reins assez solides pour faire ça. »

SOMMAIRE

fr-ca

2023-03-25T07:00:00.0000000Z

2023-03-25T07:00:00.0000000Z

https://ledroit.pressreader.com/article/283098483335977

Groupe Capitales Media