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Je demande pardon

LISE RAVARY CHRONIQUE Collaboration spéciale lravary@yahoo.com

J’ai passé la matinée de jeudi à la cour pour assister au procès d’un homme accusé de voies de fait sur son ex-conjointe, une employée devenue une amie. C’est moi qui ai appelé la police en ce lundi de janvier quand elle est arrivée chez moi en pleurs, des hématomes, des bleus, au visage.

Ce matin-là, il l’avait jetée au sol et lui avait asséné des coups de poing à la tête. Ce n’était pas la première fois qu’il la frappait mais elle n’avait jamais osé m’en parler, bâillonnée par la maudite honte que ressentent les femmes battues alors que cette émotion ne devrait appartenir qu’aux agresseurs. Mais ces salauds sautent cette étape, préférant accuser la femme qu’ils disent aimer de les avoir provoqués.

L’âme lézardée, trop finissent par le croire.

Je me doutais que ce n’était pas un homme pour elle, même s’il faisait parfois des petits boulots chez moi. Il travaillait bien, était gentil. Et elle l’aimait. Il était entré dans sa vie alors qu’elle pleurait la mort accidentelle atroce de son père adoré. Manipulateur, il lui avait offert son épaule, son affection. Elle a pris le petit réconfort que la vie semblait lui offrir. Il avait l’air sincère, amoureux, doux, même si sa vie n’avait été qu’une suite de mauvais coups, reçus et donnés, et de mauvaises décisions. Elle n’allait quand même pas lui reprocher sa pauvreté, son errance, après tout ce qu’il avait vécu.

Elle le voyait comme une victime et elle allait le sauver.

Elle ne savait pas alors qu’il avait un casier judiciaire long comme le bras. Que c’était un prédateur de femmes vulnérables dont il faisait des esclaves sexuelles. Ces salauds attendent que l’estime de soi de leurs victimes se fissure pour manifester leur vraie nature.

Elle a eu pitié de lui et l’a pris chez elle. Deux canards boiteux, dont l’un qui portait une violence secrète en lui, se sont retrouvés entre quat’z’yeux dans un trois et demi. Monsieur n’était pas apte à travailler, il va sans dire.

Tout a commencé par des crises de jalousie extrêmes. Ils ont été expulsés de son appartement à elle - en raison d’engueulades nocturnes et ils se sont retrouvés à la rue, littéralement : ils ont vécu dans sa KIA – à elle - une partie de l’hiver.

Son médecin qui, comme moi, ignorait tout cela, l’avait mise en arrêt de travail pour dépression. Elle passait désormais tout son temps seule avec lui dans l’habitacle d’une sous-compact. Les coups ont commencé à pleuvoir.

Un jour, il l’a projetée sur le sol du stationnement d’un supermarché, l’a tirée par les cheveux et frappée à répétition pendant qu’une dizaine de badauds regardaient la scène sans intervenir. Les policiers sont venus. Tétanisée, honteuse, elle leur a dit que tout allait bien et ils sont repartis sans parler aux témoins.

Comment s’était-elle retrouvée à 50 ans sur le chemin de l’enfer ? Qu’avait-elle fait de si terrible pour qu’un homme qui lui jurait amour et fidélité (un autre mensonge) lui fasse vivre un tel cauchemar ?

Rien, il va sans dire, sauf de l’avoir aimé et cru qu’il l’aimait en retour. Quelque chose qui pourrait arriver à tout le monde. À n’importe qui.

Le procès a été bref car il a plaidé coupable à toutes les accusations. Il a reçu une sentence de 90 jours de prison. Le juge, très empathique envers mon amie, a expliqué à monsieur qu’il lui était aussi interdit de s’approcher d’elle ou de la contacter.

Digne, courageuse, elle a lu une lettre déchirante au tribunal. Mais pendant qu’elle parlait, lui, assis dans le box des accusés, mimait des signes à la fois d’amour et de haine que le juge ne pouvait voir parce qu’il était sur Zoom.

Quand elle est revenue s’asseoir près de moi, j’ai compris qu’elle était transie de frayeur. Elle savait qu’il tenterait de la revoir. Qu’elle devrait passer le reste de ses jours à surveiller ses arrières.

Je me suis toujours demandé, avec un soupçon de cynisme, pourquoi les femmes battues restaient dans une relation dangereuse. Maintenant, je le sais : partir est terrifiant, l’avenir aussi.

Je demande pardon à celles que j’ai honteusement jugées.

Lise Ravary est journaliste depuis 40 ans et a tout fait dans le métier, que ce soit à la radio ou dans des magazines et des journaux, de Montréal à Toronto, en passant par Londres et Alexandria, avant de devenir observatrice et commentatrice à temps plein. On peut lire ses opinions dans nos pages deux fois par semaine.

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