LeDroitSurMonOrdi.ca

CINQ POINTS À RETENIR

Le budget provincial dévoilé mardi par le ministre Éric Girard a suscité plusieurs réactions notamment en ce qui concerne les fameuses baisses d’impôt. Le volumineux document de près de 500 pages contient toutefois de nombreuses subtilités qui demandent un oeil d’expert pour être bien interprétées. Les Coops de l’information se sont entretenues avec Sylvain Gilbert, associé en fiscalité chez Raymond Chabot Grant Thornton pour vulgariser et éclaircir plusieurs points.

1 UN CRÉDIT DE SOLIDARITÉ BONIFIÉ… DE 3,25 $ PAR MOIS

La baisse d’impôt d’un point de pourcentage des deux premiers paliers fait en sorte qu’une personne qui gagne 20 000 $ par année se retrouvera avec seulement 8 $ de plus dans ses poches alors qu’une autre qui en empoche 100 000 $ aura un montant disponible supplémentaire de 814 $.

Pour contrer cette disparité, le gouvernement a doublé la bonification de la composante logement du crédit d’impôt remboursable pour la solidarité. Au lieu d’être indexée de 6,44 % comme prévu, elle sera augmentée de 12,88 %. Cette bonification correspond à… 39 $ de plus par année, soit 3,25 $ de plus chaque mois pour une personne seule pour payer son loyer. Si on parle du montant total, il passera de 599 $ à 677 $ annuellement, une hausse de 78 $.

Selon le dernier rapport de Rentals. ca, le loyer moyen avec une chambre s’élevait à 1623 $ à Montréal, 1652 $ à Gatineau et à 1214 $ à Québec. Le Tribunal administratif du logement (TAL) a dévoilé en janvier sa grille de calcul pour l’augmentation des loyers en 2023. Il y suggère une augmentation de 2,3 % pour les logements non chauffés et de 2,8 % pour ceux qui sont chauffés à l’électricité ce qui correspond grosso modo à une augmentation de plus de 40 $ par mois à Gatineau et Montréal et d’environ 30 $ par mois à Québec et un peu partout en province.

« Ça n’a pas de sens, déplore Sylvain Gilbert. On est à 400 $ par année de plus ce qui est extrêmement loin du compte. On aurait dû augmenter le crédit d’au moins 200 $. À partir de 58 000 $ par année, tu es coupé et pour une famille, c’est à partir d’un revenu combiné de 63 000 $, ça vise donc vraiment les gens qui pourraient avoir plus de difficultés à rejoindre les deux bouts. »

Sylvain Gilbert prévient toutefois que plusieurs personnes mieux nanties auront tout aussi besoin de cette baisse d’impôt.

« Ce n’est pas vrai que les riches économisent plus, résume-t-il. Ils ont la capacité de le faire, mais est-ce qu’ils le font vraiment? Les clés qui seront laissées à la banque, ce n’est pas juste des maisons à 200 000 $, ce sera de grosses maisons. Les taux d’intérêt ont monté trop vite et des gens qui gagnent 100 000 $ ou même 200 000 $ auront des difficultés financières. L’argent est la bienvenue pour tout le monde. »

2 LES PME IGNORÉES AU PROFIT DES GRANDES ENTREPRISES

Même si 98 % des entreprises au Québec comptent moins de 100 employés (71 % ont moins de 5 salariés), Sylvain Gilbert arrive à la conclusion en analysant le budget que le Québec voit surtout les grandes entreprises dans sa soupe. L’abréviation PME ne se retrouve d’ailleurs qu’à deux endroits dans le budget qui compte 472 pages.

« Je ne vois pas de nouveaux crédits, je n’ai rien qui touche la PME, mentionne M. Gilbert. Oui, le moteur économique du Québec demeure la PME, mais pour l’instant elle n’est pas en souffrance et visiblement on l’a délaissée au profit de la très grande entreprise. »

Le budget comprend des annonces qui touchent principalement les très grandes industries, dont le nouveau congé fiscal pour grands projets d’investissement qui représentera un soutien financier aux entreprises de 373 millions de dollars au cours des cinq prochaines années. Ce congé fiscal permettra à une entreprise qui réalisera au Québec un projet d’investissement d’au moins 100 millions de dollars de bénéficier d’un congé d’impôt sur le revenu. Le gouvernement investit aussi 40 millions $ pour mettre à la disposition des entreprises des terrains industriels de grande superficie.

M. Gilbert pense toutefois que le gouvernement a manqué une bonne occasion d’aider les PME en ne touchant pas à leur taux d’imposition alors qu’il l’a fait pour les particuliers. En ce moment au Québec, une entreprise qui compte au moins trois employés est imposée à 3,2 % pour le premier 500 000 $ de revenus et à 11,5 % pour l’excédent.

« On est assez concurrentielle pour l’excédent au niveau des provinces, résume M. Gilbert. Pour le premier 500 000 $, on est exactement au niveau de l’Ontario, mais la plupart des autres provinces sont entre 1 % et 3 %. On aurait pu faire un effort sur le premier 500 000 $ qui touche beaucoup de PME au Québec. »

3 LES RICHES EXCLUS DES FONDS DE TRAVAILLEURS

Le Québec compte trois fonds fiscalisés, soit le Fonds de solidarité FTQ, Fondaction et Capital régional et coopératif Desjardins (CRCD). Ces fonds, qui ont pour principales missions d’investir dans les PME québécoises, sont très populaires parmi les investisseurs en raison des importants crédits d’impôt qui leur sont associés. En 2021, ils comptaient ensemble plus de 1 million d’actionnaires et près de 12 % des déductions REER totales au Québec.

Leur popularité a toutefois fait en sorte que les fonds de travailleurs ont dû suspendre leurs émissions d’actions au cours des dernières années. Certains épargnants, qui comptent sur le crédit d’impôt associé à l’achat de ces actions pour les aider à épargner, n’ont ainsi pas pu y avoir accès.

Le gouvernement prévoit donc que le crédit d’impôt du Fonds de solidarité FTQ et du Fondaction ne sera accessible qu’aux contribuables dont le revenu imposable est inférieur ou égal au seuil de la dernière tranche de revenu imposable (112 655 $ pour l’année d’imposition 2022). Le gouvernement estime que cette mesure donnera accès au crédit d’impôt à environ 60 000 nouveaux épargnants

avec un revenu moindre.

« C’est du capital de risque, mais dans les dernières années les rendements ont été bons, explique M. Gilbert. Les gens avaient donc un crédit d’impôt en plus d’un bon rendement. La raison initiale du crédit d’impôt était qu’on demandait aux gens de prendre un risque, mais là on n’est plus là et on le rend plus accessible à la classe moyenne. »

Actuellement, un actionnaire du Fonds de solidarité FTQ ou du Fondaction doit détenir ses actions jusqu’au moment de la retraite et doit minimalement les conserver pour une période de deux ans. Ce délai augmentera graduellement jusqu’en 2026 pour se chiffrer à cinq ans.

« La logique de ça, c’est que présentement les fonds doivent toujours garder suffisamment de liquidités pour qu’une personne puisse racheter ses parts dans deux ans, indique M. Gilbert. C’était donc difficile pour les fonds d’avoir une stratégie à moyen terme. En le montant à cinq ans, ça leur permet d’avoir une vision à plus long terme. »

De son côté, le CRCD exige déjà une période de détention minimale de 7 ans.

4 DES MESURES QUI VISENT JUSTE ET D’AUTRES QUI RATENT LEUR CIBLE POUR LES TRAVAILLEURS EXPÉRIMENTÉS

Face à la pénurie de main-d’oeuvre, l’une des solutions souvent mises de l’avant est le retour des travailleurs expérimentés. Le budget propose plusieurs mesures pour les retenir sur le marché plus longtemps ou même les ramener s’ils sont déjà à la retraite. Elles n’auront toutefois pas toutes l’effet escompté selon Sylvain Gilbert.

En ce moment, pour ne pas avoir de pénalité, une personne doit avoir 65 ans pour demander à recevoir sa rente. Toutefois, s’il attend plus longtemps, le montant de cette rente s’accroît de 0,7 % pour chaque mois de report. C’est donc un incitatif à demeurer sur le marché du travail le plus longtemps possible. Mais pour tenter de conserver un maximum de travailleurs au boulot, le gouvernement prévoit augmenter l’âge maximal à laquelle un cotisant doit demander sa rente de retraite de 70 à 72 ans.

« À 72 ans, quand on fait les calculs, il faut que tu vives au-delà de 88 ans avant que tu sois gagnant dans ton choix, souligne M. Gilbert. C’est probablement un peu trop élevé. C’est une flexibilité, mais je ne suis pas certain que beaucoup de gens vont choisir de faire ça. À moins d’avoir une génétique épouvantable et que tout le monde dans la famille vit très vieux, on ne va pas recommander de faire ça. »

M. Gilbert estime que le gouvernement aurait dû modifier le crédit d’impôt maximal pour travailleurs d’expérience qui est de tout au plus 1500 $ (64 ans et moins) ou 1650 $ (65 ans et plus).

« Ce sont des montants insignifiants, lance M. Gilbert. On devrait les bonifier et pour moi c’est un oubli dans le budget. C’est une main-d’oeuvre accessible et souvent qualifiée. »

Le Budget est toutefois venu corriger une lacune importante du système en modifiant la méthode de calcul de la rente du régime de base du Régime de rentes du Québec (RRQ) pour assurer que les années de faibles gains de travail à partir de 65 ans ne peuvent réduire la moyenne de gains utilisée pour le calcul de la rente de retraite.

« La façon dont le calcul fonctionne, ils vont analyser toutes les années de vie active entre 18 ans et le moment où tu demandes ta rente et ils enlèvent environ 15 % de tes pires années, indique M. Gilbert. Des gens de 60 ans qui avaient les moyens de ralentir, mais qui voulaient attendre 65 ans pour demander leur rente pour ne pas être pénalisés, se ramassaient avec des salaires beaucoup moins élevés et quand on enlevait le 15 %, on était obligé de garder des années où ils n’avaient pas cotisé au maximum. Ça venait pénaliser les gens qui voulaient rester sur le marché du travail. Ils l’ont corrigé et c’est vraiment un bon point. »

Dès le 1er janvier 2024, il sera aussi possible pour les travailleurs de 65 ans et plus, qui reçoivent une rente de retraite, de cesser les cotisations au RRQ. Il est généralement avantageux à long terme de continuer à cotiser, mais les travailleurs à la retraite qui retournent sur le marché du travail souhaitent souvent avoir des liquidités à court terme plutôt que d’épargner pour leurs vieux jours.

À titre d’exemple, pour un travailleur de 65 ans ayant un revenu de travail annuel de 15 000 $, l’arrêt des cotisations lui permettra d’augmenter son revenu disponible de 606 $.

5 «PRENDRE UNE HYPOTHÈQUE POUR FAIRE SON ÉPICERIE»

Le budget prévoit 9,5 milliards $ de dollars sur six ans pour la baisse d’impôt et la bonification de la composante logement du crédit d’impôt pour la solidarité. Ces deux mesures seront financées en réduisant les versements au Fonds des générations. Il est donc prévu que de 2023 à 2028, les versements s’élèveront en moyenne à 2,6 milliards de dollars par année.

Sans les réductions des versements pour financer les baisses d’impôt et le crédit de solidarité, les revenus consacrés au Fonds des générations se seraient élevés à 3,9 milliards de dollars en 20232024 et à 5,4 milliards de dollars en 2027-2028.

« Normalement, le Fonds des générations devrait être plus pour des mesures structurantes ou des infrastructures qui devraient bénéficier aux prochaines générations, déplore M. Gilbert. Là, on donne quelques dollars aux gens. C’est comme si j’allais chercher une hypothèque pour financer mon épicerie, ça ne fonctionne pas.

Au 31 mars 2023, le solde du Fonds des générations s’établira à 19,2 milliards de dollars. Le gouvernement a toutefois annoncé que des retraits de 2,5 milliards de dollars par année auront lieu en 2023-2024 et en 2024-2025.

« Ces retraits contribueront à réduire le programme de financement et à alléger le service de la dette, et ce, dans le contexte actuel de taux d’intérêt élevés, peut-on lire dans le budget. L’économie en intérêts associée à ces retraits est estimée à 801 millions de dollars sur cinq ans. »

ACTUALITÉS

fr-ca

2023-03-25T07:00:00.0000000Z

2023-03-25T07:00:00.0000000Z

https://ledroit.pressreader.com/article/281724093801257

Groupe Capitales Media