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QUÉBEC ABANDONNE LE PROJET

MATHIEU BÉLANGER mabelanger@ledroit.com

Le gouvernement du Québec n’a plus l’intention de désigner Gatineau comme «zone d’innovation» en matière de cybersécurité. L’information a été confirmée au Droit cette semaine par le ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec (MEIQ).

Le ministère, dans une réponse écrite, affirme reconnaître l’importance stratégique de la cybersécurité pour le Québec et l’apport significatif de l’écosystème de Gatineau dans ce domaine. Il ajoute qu’il continuera d’appuyer des initiatives régionales en la matière, mais son porte-parole, Jean-Pierre D’Auteuil, précise que cela se fera «sans la perspective actuelle de création d’une zone d’innovation». Invité à préciser ses intentions, le MEIE a confirmé qu’il n’entend plus faire de Gatineau une zone d’innovation telle que définie par le programme annoncé par le gouvernement en 2020.

«En considération des constats de l’analyse et de l’accompagnement interministériel, le projet de zone d’innovation en cybersécurité de Gatineau n’a pas été retenu à ce jour parmi les Zones d’innovation Québec et il a été convenu que la cybersécurité sera couverte par des initiatives régionales en projet d’innovation.»

Pour la Ville de Gatineau qui portait le projet en partenariat avec des partenaires du milieu de l’enseignement supérieur et de l’industrie du numérique depuis l’annonce de la création des Zones d’innovation Québec, et qui faisait du projet sa grande priorité en matière de développement économique, il s’agit d’un coup dur. Cela mettra à risque des centaines de millions de dollars en promesses d’investissement à Gatineau. Il y en avait pour près de 300 millions en 2021, d’après le comité de pilotage du projet à Gatineau.

Deux premières zones d’innovation ont été désignées jusqu’à maintenant au Québec; Sherbrooke quantique et Technum Québec. Le gouvernement du Québec prévoit y investir 690 millions en cinq ans.

La Ville souhaitait miser sur une zone d’innovation pour diversifier son économie et attirer des capitaux importants. Le service de l’urbanisme planifiait le réaménagement du site de la Fonderie en fonction de cette désignation à venir depuis des années. Des travaux de décontamination [incomplets] de 10 millions ont même été financés par le gouvernement du Québec sur le site de la Fonderie, visé pour accueillir le centre névralgique de la future zone.

GATINEAU A DISPARU DU RADAR

Certains des acteurs impliqués dès les premiers instants dans le projet ont cependant quitté le bateau il y a déjà plusieurs mois. Le coordonnateur du projet, Martin A. Roy, a quitté à l’automne pour des raisons de santé. L’homme d’affaires, Antoine Normand, qui a milité dès les premiers instants pour cette zone d’innovation en cybersécurité aux côtés de l’ex-maire Maxime PedneaudJobin, qui a dirigé le comité de pilotage du projet et la présidence du Cilex, impliqué dans le développement de la zone, a aussi plié bagage dans les derniers mois.

«Honnêtement, c’est malheureux, mais je ne voyais plus comment ce projet pouvait avancer, a indiqué M. Normand au Droit. J’ai eu l’impression, il y a déjà plusieurs mois, que la zone d’innovation de Gatineau n’était plus du tout sur le radar de Québec. Le problème, c’est que personne au gouvernement ne semble avoir le courage de le dire clairement. Moi, je n’y croyais plus. L’opportunité était là il y a deux ans, mais là, les gros contrats dans le domaine de la cybersécurité sur lequel le plan d’affaires était basé commencent à se donner et personne ne pense à Gatineau. Ce à quoi on rêvait n’arrivera pas.

SABLE DANS L’ENGRENAGE DÈS 2021

Le Droit révélait, en décembre 2021, qu’il y avait du sable dans l’engrenage du projet de zone d’innovation à Gatineau. Le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, avait précisé que le projet nécessitait un rehaussement important des programmes d’enseignement supérieur offert à l’Université du Québec en Outaouais (UQO).

Le ministre responsable de l’Outaouais, Mathieu Lacombe, avait pour sa part affirmé que d’affirmer que de remettre publiquement en question l’engagement de Québec de faire de Gatineau une zone d’innovation relevait de la «folie». Il affirmait à l’époque qu’il ne restait que «quelques cases à cocher» pour obtenir la désignation.

NOMBREUSES RÉACTIONS

Le président de la Chambre de commerce de Gatineau (CCG), Stéphane Bisson, participait à une rencontre de la ministre québécoise du Travail, Kateri Champagne Jourdain, de passage en Outaouais, quand la nouvelle de l’abandon de Québec de la zone d’innovation en cybersécurité a été publiée par Le Droit, jeudi matin. «Je n’ai pas besoin de vous dire la surprise autour de la table», a-t-il lancé.

Pour la CCG, de voir Québec tourner le dos à ce projet phare de la région et de son réseau d’enseignement supérieur est une nouvelle «absolument horrible» qui met à risque des centaines de millions de dollars en promesses d’investissements privés. «Plus ça tardait, plus les gens dans l’écosystème sentaient que le gouvernement était en train de se défiler, a mentionné M. Bisson. On dirait que c’est une pratique courante de ce gouvernement. Il faut la même chose avec le 3e lien à Québec présentement. Il laisse mourir les dossiers en arrêtant d’en parler.»

Le gouvernement du Québec doit rapidement donner un signe de vie à l’Outaouais, croit M. Bisson. «La province doit donner les outils à l’Outaouais pour qu’elle se développe, a-t-il ajouté. Québec ne peut pas sous-financer notre réseau d’enseignement supérieur et ensuite nous blâmer parce qu’il traîne de la patte. C’est un échec cuisant que Québec vient de nous servir. C’est irréaliste. Il faut que Québec nous dise clairement ce qu’il est prêt à faire ici. La province ne peut pas continuer de venir puiser de l’argent dans les poches des contribuables de la région sans qu’ils puissent bénéficier ensuite de leur part des contributions gouvernementales.»

L’abandon de la zone d’innovation par le gouvernement du Québec vient clore une «dure semaine pour l’Outaouais», a affirmé pour sa part le député libéral de Pontiac, André Fortin. «Après des nouvelles plus que décevantes dans le budget, après des sous-investissements dans plusieurs secteurs, là on se retrouve avec un projet phare pour la région qui est abandonné par le gouvernent de la CAQ. C’est beaucoup d’investissements dans une industrie d’avenir qui nous échappent parce que le gouvernement fait le choix d’abandonner le projet.»

M. Fortin pointe directement du doigt le ministre responsable de la région, Mathieu Lacombe, pour cet échec régional. «Quand des gens ont avancé que le projet semblait battre de l’aile [en 2021], M. Lacombe riait de ces gens, il disait que c’était une lubie, que c’était une face de dire ça et que c’était une question de semaines avant que tout soit signé, a relaté le député de Pontiac. On se rend compte aujourd’hui qu’il n’a pas fait son travail de ministre régional. Il n’y a pas grand monde qui peut être fier du bilan de son travail cette semaine.»

Le ministre Lacombe n’a pas voulu commenter le dossier, laissant le soin à son collègue de Chapleau, Mathieu Lévesque, de le faire. «Mais je comprends que plusieurs personnes avaient déjà

cessé de croire au projet depuis un moment et qu’ils ont décidé de quitter le navire il y a déjà plusieurs semaines», a-t-il souligné.

D’AUTRES PORTES S’OUVRIRONT, DIT FRANCE BÉLISLE

N’accordant pas d’entrevue sur le sujet mercredi, la mairesse de Gatineau, France Bélisle, a écrit au Droit : «nous prenons acte de la décision du gouvernement du Québec». Malgré l’abandon du projet de zone d’innovation, le créneau de la cybersécurité et de la confiance numérique demeure porteur pour Gatineau, selon elle.

«Quand une porte se ferme, d’autres s’ouvrent, a-t-elle ajouté. C’est encore plus vrai dans ce dossier. Ce programme de zone d’innovation était intimement lié au redéveloppement des friches industrielles et comme ce programme ne tient plus pour nous, d’autres possibilités peuvent se présenter. Nous redéfinirons notre force de frappe.»

«UNE PAUSE»

Le dossier de la zone d’innovation en cybersécurité de Gatineau est passé des filières du ministre responsable de l’Outaouais, Mathieu Lacombe, à celles du député de Chapleau, Mathieu Lévesque, après la réélection de la Coalition avenir Québec (CAQ), l’automne dernier. C’est ce qui a été décidé par le caucus régional dans un but de mieux se répartir les tâches, a expliqué ce dernier.

Alors que le ministère de l’Économie et de l’Innovation précise clairement que la désignation de Gatineau comme zone d’innovation en cybersécurité n’est plus dans les plans de Québec, le député de Chapleau préfère parler d’une «pause» devant permettre au gouvernement de réajuster son approche face à la cybersécurité sur son territoire.

«Je dirais qu’il y a une pause actuellement, a mentionné M. Lévesque. Il y avait deux régions [Montréal et l’Outaouais] qui travaillaient sur une zone d’innovation en cybersécurité et là on fait une pause, une réflexion sur ce que le gouvernement entrevoit pour ces grappes industrielles stratégiques. Je ne dis pas que c’est une fin de non-recevoir finale, mais on veut prendre un pas de recul. C’est spécifiquement le fait que ce soit la cybersécurité et le numérique qui pousse à faire une pause.»

M. Lévesque a ajouté que le MEIQ entend continuer d’investir dans l’industrie de la cybersécurité, notamment en Outaouais. «On ne laisse pas tomber la cybersécurité, a-t-il insisté. Je dis aux partenaires de poursuivre le travail parce que sous une forme ou une autre, il y aura de la cybersécurité en Outaouais. Mais étant donné l’importance du secteur, il faut se donner le temps de bien faire les choses, de faire les bonnes réflexions et d’avoir les bons joueurs à la bonne place, et les joueurs de l’Outaouais sont très bien placés.» Le député de Chapleau n’est pas en mesure de préciser de combien de temps aura besoin le gouvernement pour se repositionner.

DÉCEPTION À L’UQO

Dans une réponse écrite, l’Université du Québec en Outaouais (UQO) a exprimé «sa déception» face à l’abandon du projet de zone d’innovation à Gatineau. Malgré tout, ajoute son porte-parole, Gilles Mailloux, cette décision ne ralentira pas le travail amorcé pour développer le créneau de la cybersécurité dans la région. «La mobilisation des dernières années autour de cet axe a permis à l’UQO d’établir de riches partenariats et de développer de nouveaux programmes en cybersécurité, ainsi qu’en innovation numérique», a-t-il indiqué. L’association avec l’Institut national en recherche scientifique (INRS) et l’«ajout majeur» d’une chaire de recherche Fulbright dédiée à la cybersécurité découlent aussi des efforts réalisés pour obtenir la désignation d’une zone d’innovation, note M. Mailloux.

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