LeDroitSurMonOrdi.ca

C’était laid

PATRICK DUQUETTE CHRONIQUE pduquette@ledroit.com

Ce que je retiens de la manifestation des camionneurs, un an plus tard? Que c’était laid. Dieu, que c’était laid. Ces klaxons à toute heure du jour ou de la nuit. Ce mépris total envers la population du centreville prise en otage. Ces drapeaux nazis ou confédérés aperçus les premiers jours.

La musique à tue-tête, les feux à ciel ouvert, ces bidons d’essence qui se promenaient partout au centre-ville, sous le regard complaisant des policiers...

Tout d’un coup, c’était comme si le centre-ville appartenait aux manifestants.

Les rues autour du parlement étaient devenues une zone de non-droit. Plus de lois ou de règlements municipaux qui tiennent!

Et ça a duré trois semaines. Trois longues semaines avant que les autorités se décident à bouter tout ce beau monde dehors.

C’est la première chose que je retiens, un an plus tard.

Cette impression que la population du centre-ville a été laissée à elle-même, devant une bande de hors-la-loi aux comportements intimidants.

Un an plus tard, on ne s’en est pas encore remis. De cette crise de confiance envers la police, envers l’hôtel de ville aussi.

J’en retiens aussi le froid. Qu’estce qu’il faisait froid certaines journées.

Plusieurs fois par semaine, j’enfilais deux ou trois couches de vêtements et j’allais me promener dans le périmètre d’occupation. Pour parler aux gens, pour témoigner.

Les médias n’étaient pas toujours les bienvenus. Des collègues se sont faits insulter, bousculer. On se faisait accuser de répandre de fausses nouvelles, d’être à la solde du gouvernement.

Il n’y avait pas que des enragés ou des complotistes parmi les manifestants. J’ai rencontré des gens qui venaient de partout pour les encourager. Qui les voyaient comme des héros se dressant contre la dictature sanitaire.

De mes échanges avec les gens, je retiens un sentiment général de colère rentrée, d’amertume, de révolte. Toute la frustration que les gens avaient retenue chez eux, pendant la pandémie, éclatait à l’ombre de la Tour de la paix.

Souvent, j’ai eu l’impression que l’extrême-droite américaine débarquait au Canada. À cause des discours patriotiques au pied du Cénotaphe, de cette obsession des drapeaux qu’on voyait partout. De ces appels à la liberté. Ces Fuck Trudeau, ces Fuck Legault qu’on voyait partout, sur les pancartes, ou tracés avec le doigt sur la poussière des camions.

Oui, la manif a fait sortir le plus laid.

Et pas seulement des manifestants, de nos politiciens aussi.

Justin Trudeau qui traite les camionneurs de «petite minorité marginale». Pierre Poilievre qui se sert de la grogne populaire comme tremplin pour se hisser à la tête du parti conservateur…

Ottawa craignait une insurrection. Une tentative de renverser le Parlement. Ça n’est pas arrivé. Mais il reste que le siège des camionneurs a fait vaciller notre démocratie.

L’affaire a provoqué le départ du chef de la police d’Ottawa dans une tourmente rarement observée au conseil municipal de la capitale fédérale.

Nos dirigeants ont eu peur comme rarement je les ai vus avoir peur. Ils craignaient que les manifestants aient des armes, voire des bombes... Le climat était explosif.

À la réflexion c’est un miracle que l’affaire se soit terminée sans effusion de sang. À la fin, des centaines de policiers ont marché en rangs serrés pour expulser les manifestants.

J’y étais. Il y a eu des cris, des insultes, du poussage, de la rudesse, des altercations. Des dizaines d’arrestations. Mais pas de morts.

Ottawa est vite redevenue la ville plate de fonctionnaires qu’on connaît si bien. Quoique pas tout à fait. Quelque chose a changé.

On a pris conscience de la fragilité de notre démocratie. On a réalisé qu’il suffit parfois d’un minuscule virus pour dresser les habitants d’un pays les uns contre les autres.

Les camionneurs manifestaient au nom de la liberté. Libârté! On l’a entendu combien de fois, ce mot-là? Parlons-en de liberté.

Un an plus tard, la rue Wellington demeure fermée à la circulation automobile devant le parlement. Les manifestants sont repartis, mais les gens d’Ottawa vivent encore avec des restrictions à leur liberté.

Les infirmières, qui se tuent à coup d’heures supplémentaires obligatoires ces jours-ci, pourraient aussi vous parler de liberté.

La liberté, a-t-on réalisé, est une notion très relative.

ACTUALITÉS

fr-ca

2023-01-28T08:00:00.0000000Z

2023-01-28T08:00:00.0000000Z

https://ledroit.pressreader.com/article/284017606222772

Groupe Capitales Media