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L’ART DE SAVOIR TATOUER

LE MONDE DU TATOUAGE EST EN PLEIN ESSOR ET LA DEMANDE EST EN CROISSANCE CONSTANTE.

par Ani-Rose Deschatelets / Le Droit

Pour espérer former une relève d’artistes tatoueurs bien au fait des nouvelles techniques et surtout soucieuse de la qualité de leur travail, une artiste tatoueuse gatinoise lance sa propre école de formation, L’Académie de Tatouage du Québec, afin de « standardiser » cet art corporel.

Chanelle Baril, alias Chanelle Cursed, dessine depuis l’âge de 9 ans et peint depuis ses 16 ans. L’art, c’est son dada. Les murs de la « maison d’art » qu’est le studio de tatouage Gypsy Art House, dont elle est propriétaire, sont d’ailleurs placardés de toiles grandioses. Mme Baril a peint chacune d’entre elles.

« La nouvelle génération n’achète pas de toiles originales pour décorer leurs murs. Ils achètent des prints, explique l’artiste. Mais les gens investissent dans leur look. Alors d’un point de vue business, le tatouage c’est une façon de commercialiser mon art. »

Autodidacte, Chanelle Baril a commencé à faire du tatouage en 2016. Deux ans plus tard, elle ouvrait ce qu’elle pensait être un studio de yoga d’abord et y faire du tatouage à l’occasion.

« Au début, je n’étais pas certaine que ça allait fonctionner. C’était le début de la tendance floral minimaliste et j’étais pas mal la première à faire ce style à Gatineau. Ma mère m’a dit : ‘‘ tu penses qu’il n’y a pas de demande, parce qu’il n’y a pas d’offre. Sois celle qui l’offre, tu vas créer la demande.’’ »

Après six mois seulement, elle a dû se rendre à l’évidence, la demande était là.

D’un point de vue créatif, devenir artiste tatoueuse l’a forcé à sortir de sa zone de confort. « Quand tu tatoues, tu pousses ta créativité à imaginer ce que quelqu’un d’autre voit dans sa tête. Tu crées une pièce unique pour des gens qui vont la garder toute leur vie. Je n’ai jamais vu les tatouages comme étant quelque chose de différent d’une oeuvre d’art. Le corps est une toile qui n’attend que d’être remplie. »

Chanelle Baril décrit son style de tatouage comme un style moderne caractérisé entre autres par l’art floral, l’ornemental et le mandala.

« C’est beaucoup dans la finesse, détaillée. J’aime aussi beaucoup le contraste. J’aime quand c’est épuré. »

Deux autres artistes tatouent à Gypsy Art House. Marie, sa conjointe, est une tatoueuse spécialisée en tatouages minimalistes, en lignes fines, en calligraphie et en précision. Aida est une apprentie tatoueuse qui se spécialise en tatouages plus sombres avec des ombres, en tatouages traditionnels et flashs. Le studio offre également maintenant le service de détatouage au laser offert par Kathy, afin de faciliter les tatouages de type cover-up.

Complexité

Sur certains aspects, l’art du tatouage apporte quand même son lot de défis, soutient Chanelle Baril. « Une toile blanche, tu peux effacer et recommencer. Un tatouage, c’est un one shot deal. Et parfois ce n’est pas nécessairement quelque chose qui t’inspire. »

Parmi les autres aspects complexes de l’art du tatouage, elle souligne qu’il faut inévitablement aussi prendre en considération l’âge de la peau qu’on tatoue, de même que la pigmentation et l’emplacement, qui doit suivre harmonieusement le corps, par exemple. « C’est la forme d’art émergeant le plus populaire de notre génération, mais c’est beaucoup plus complexe que de faire une toile. »

Cet art complexe mérite ainsi d’être appris et démystifié comme il se doit, croit Mme Baril. « Les tatoueurs, on n’a pas le temps de prendre des apprentis et de les former, mais on aurait vraiment besoin de nouveaux artistes dans nos shops parce qu’on manque de maind’oeuvre. » Chanelle Baril en est un bon exemple. Pour espérer se tailler une place parmi ses plages horaires, il faut s’attendre à patienter jusqu’à six mois.

La formation

Mais pour quelqu’un qui souhaite justement suivre une formation en tatouage pour apprendre les rudiments du métier, comme les techniques de base et les mesures de santé et de sécurité, très peu de ressources sont offertes, explique la propriétaire.

« Les gens qui font ça chez eux, des fois ils sont attentionnés, mais des fois ils se foutent de tout. Ils ne font pas de formations d’hygiène, ils n’utilisent pas des outils aseptisés. Si le tatouage n’est pas très beau, c’est une chose, mais si ton artiste te contamine, te donne une maladie, c’est autre chose. »

Le type de formation répandu pour le moment est le mentorat, dont Mme Baril n’est pas friande. « Les vieux de la vieille trouvent que tu dois mériter ta place. Tu passes du temps à faire le ménage, en tant qu’apprentis, parfois tu es payé, parfois pas. Je veux changer ça. »

Elle déplore aussi le manque de vérification et d’inspections de santé et de sécurité dans les studios de tatouages comme le sien et souhaite ainsi inculquer les bonnes pratiques en ce sens dès le début.

« On est vraiment en retard. Il n’y a rien. J’ai envie de créer la demande pour du tatouage professionnel et sécuritaire, tout en facilitant la vie des artistes qui veulent débuter une carrière. »

Dès janvier, des élèves pourront ainsi prendre part à la première cohorte de l’Académie de tatouage du Québec, une formation complète d’une centaine d’heures au total, soit une trentaine d’heures de théorie à distance, ainsi que neuf jours de pratique en clinique-école. « C’est le double des autres formations que j’ai vu ailleurs », soutient-elle. La formation Apprenti(e) en Tatouage, qui se tient en janvier, sera suivie quelques mois plus tard par la formation Tatouage Débutant, un cours de 80 heures.

« J’essaie de standardiser la pratique du tatouage : de mettre à jour les élèves dans les qualités techniques, les nouvelles machines et technologies qui sont beaucoup plus sécuritaires. Je veux aussi montrer les techniques d’hygiène. Que tu fasses ça chez toi ou dans un studio, débutant ou avancé, j’ai besoin de voir une standardisation. »

Les étudiants pourront aussi se pratiquer sur de fausses peaux et sur une dizaine de cobayes volontaires. « Je passe beaucoup de temps en pratique de fausse peau avant qu’ils touchent aux gens, et plus d’accompagnement quand ils sont rendus à tatouer le monde. »

Mme Baril a également prévu un examen à la fin, afin de s’assurer que l’élève répond aux attentes du cours. « Ce n’est pas vrai que tu viens faire la formation et que tu passes automatiquement. Pour que je mette mon nom et ma réputation sur quelqu’un, je veux m’assurer qu’il va suivre les règles. » Le studio Gypsy Art House a en effet remporté deux fois plutôt qu’une le prix Choix du consommateur pour la meilleure entreprise dans la catégorie Salon de tatouage à Gatineau pour les années 2021 et 2022, et se classe parmi plusieurs palmarès des meilleurs studios de tatouage dans la région de la capitale fédérale.

Une troisième formation, Tatouage intermédiaire, suivra éventuellement. Elle sera offerte à ceux qui auront suivi les deux formations de base et qui cumulent de six à 12 mois de pratique. « J’ai hâte de montrer aux gens comment bâtir du plus grand, mais il faut commencer par la base. »

Évidemment, une formation est un bon début, croit Chanelle Baril. Mais l’artiste suggère aux élèves qui suivront sa formation de se trouver un emploi dans le domaine dès qu’ils auront complété le cours. « Neuf jours de formation, ce n’est pas suffisant pour avoir une carrière, mais c’est suffisant pour savoir si tu as du potentiel. »

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