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JE VEUX ÊTRE FUTILE À LA PATRIE!

JEAN-SIMON GAGNÉ jsgagne@lesoleil.com

Deux semaines après sa parution, les ventes de l’autobiographie du prince Harry fracassent des records. Au point d’approcher les exploits d’un certain Harry... Potter. Mais le lecteur en quête de magie risque fort d’être déçu. Dans Le suppléant, on ne trouve pas de Prince charmant. Seulement un récit de la misère des riches, copieusement assaisonné de vacheries. Le Soleil a lu le livre pour que vous n’ayez pas à le faire...

«Une déclaration de guerre»! Une attaque «malicieuse». Un geste «méprisable». «Le sacrifice de toute une famille pour quelques millions de dollars». Depuis des semaines, la Grande-Bretagne est en émoi.1 Même la presse à scandale ne trouve pas de mots assez forts pour exprimer l’ampleur de son indignation. Un phénomène plus rare qu’une pénurie de sable au milieu du désert!

Qu’est-ce qui provoque une telle agitation? La dernière salve de missiles russes sur l’Ukraine? Un attentat à Londres? Le retour de Jack l’Éventreur? Non, vous n’y êtes pas du tout. Plutôt la sortie du Suppléant, l’autobiographie du prince Harry, le second fils du roi Charles. Un livre dont on a dit qu’il crache assez de venin pour foudroyer net un éléphant à 20 mètres…

LE ROI ET SON OURSON

N’exagérons rien. Quand on y regarde de plus près, Le suppléant contient juste ce qu’il faut de méchanceté et de bassesse pour connaître le succès. Une recette éprouvée. Après tout, la maison d’édition Random House n’aurait pas donné 20 millions $ d’avance au prince Harry pour qu’il rédige un traité sur les tapisseries du château de Balmoral...

Dès les premières pages, le fiston se fait un devoir d’épingler son père, le roi Charles. Le royal paternel est décrit comme un éternel coincé. Un mal-aimé qui ne voyage jamais sans emporter son ours en peluche. Un manipulateur prêt à négocier avec la presse à scandale. Un malheureux qui ne travaille pas trop fort pour éviter de faire de l’ombre à sa mère, la reine Élisabeth II.2

«[Mon père] était toujours en train de renifler les choses, raconte Harry. […] Il a dû être un chien de chasse, dans une autre vie. Peut-être qu’il reniflait aussi profondément parce qu’il était difficile de sentir autre chose que son odeur personnelle. Eau sauvage. Il devait s’en badigeonner les joues, le cou, la chemise. Une odeur de fleur, avec quelque chose de plus dur, comme du poivre ou de la poudre à canon […].»3

Le prince Harry n’épargne pas non plus son frère William, le rival, l’héritier de la Couronne. «J’étais l’ombre, le réserviste, le plan B, écrit-il. J’avais vu le jour au cas où quelque chose arriverait à Willy. […] Je pouvais fournir une pièce détachée, en cas de besoin. Un rein. Ou une transfusion sanguine.»4

Bienvenue dans la famille des Windsor, qui règnent sur le Royaume-Uni, l’Australie et le Canada. Par moment, l’ambiance fait penser à Woody Allen, qui disait : «Je préfère l’incinération à l’enterrement, et les deux à une fin de semaine passée avec ma famille.»

SHAKESPEARE À LA RESCOUSSE

Évidemment, un prince ne rédige pas lui-même son autobiographie. On naît prince ou poète. Pas les deux. Alors, pour mieux raconter son histoire, Harry a retenu les services de l’écrivain John Joseph Moehringer. Le roi des porte-plume. Un gagnant du prix Pulitzer, qui a rédigé une autobiographie d’André Agassi, le mauvais garçon du tennis. Un exploit.5

Grâce à la plume alerte de M. Moehringer, l’histoire du prince suppléant est racontée avec une certaine grâce. Même lorsqu’elle ne vole pas très haut. À charge pour le lecteur d’imaginer le royal personnage derrière les mots d’un autre. Ici et là, on note même des références à Shakespeare, un auteur que le prince se targue de n’avoir jamais vraiment lu.

Un chroniqueur du journal The Guardian s’est amusé à rédiger un pastiche du Suppléant. Il imite les phrases courtes. Il se place dans le rôle de l’éternelle victime, jouée par le prince. À la fin, il conclut : «[…] J’étais seul. Abandonné. Il me restait seulement quelques maisons et cent millions dans mon compte en banque.»6

Pour reprendre l’expression consacrée, il devient aussi facile de reconnaître la vraie voix du prince Harry dans Le suppléant que d’imaginer un boeuf à partir d’une boîte de cubes de bouillon déshydraté...

QUI PLEURE LE PLUS?

Avant, le prince Harry faisait parler de lui pour ses frasques d’enfant gâté. Un jour, il causait un scandale en se déguisant en nazi lors d’un bal costumé. Plus tard, il était photographié tout nu en train de jouer au billard. Le surlendemain, il se gelait le pénis lors d’une expédition en Arctique.

N’ajustez pas votre appareil. Depuis des années, Harry est devenu plus sage, plus introspectif. Il n’en finit plus de tout révéler sur son lui-même. La mort de sa mère Diana. Son «exil» en Californie. Ses thérapies. Le racisme à l’endroit de son épouse Meghan Markle. Dès 2021, il se confiait à Oprah Winfrey. Plus récemment, il se confessait lors d’un documentaire Netflix en six épisodes, intitulé Harry & Meghan.7

Faut-il énumérer toutes les entrevues qui ont précédé la sortie du Suppléant? N’insistez pas. Cela risquerait de vous achever. Des persifleurs ont même dit que le prince s’est livré plus souvent qu’une collection de pizzas garnies, le jour du Super Bowl.

Peu importe. Les critiques ne perdent rien pour attendre. Le public ne se lasse pas des révélations sur la famille royale. Quitte à ce que les méchancetés deviennent un peu redondantes. Quitte à se perdre dans les accrochages entre les belles-soeurs royales, Kate Middleton et Meghan Markle.

Est-ce bien Kate qui se plaint de la longueur de la robe des demoiselles d’honneur? Est-ce l’autre qui est furieuse d’avoir dû prêter son rouge à lèvres? Laquelle a pleuré le plus? Et qui a fait pleurer qui? Sacrées questions.

Snif. Nous faisons une courte pause. Ça vous donne le temps d’aller chercher un mouchoir...

IL FAUT SAUVER LE SOLDAT HARRY

À la décharge du prince, il faut admettre qu’il lui est difficile de mener une vie normale. On a beau dire, mais le fait que vos croquettes de poulet soient servies par un maître d’hôtel, dans une cloche d’argent, ça marque un homme pour toujours!

Blague à part, le prince Harry n’est jamais seul. Ses gardes du corps ne se trouvent jamais loin. Même quand il se saoule avec des copains! Pour se déplacer incognito, il se réfugie souvent dans le coffre de sa limousine. Les paparazzis le suivent partout. Et pour cause! Une simple photo de lui peut valoir 30 000 livres [environ 50 000 $].8

Vers l’âge de 18 ans, ne sachant pas trop quoi faire de sa vie, Harry décide de rejoindre l’armée. C’est là que les choses se compliquent. Au printemps 2007, Monsieur doit être déployé près de Bassora, dans le sud de l’Irak. Sur place, plusieurs leaders de l’insurrection anti-britannique attendent l’arrivée du prince «avec impatience». Ils se demandent s’ils doivent le tuer ou le kidnapper pour exiger une rançon?

En théorie, le prince Harry n’existe plus. Il est devenu le second lieutenant Wales. En pratique, personne ne croit à cette salade. Pas même l’ennemi. Harry est désormais considéré «comme la mère de toutes les cibles».9 L’armée craint qu’il attire les attaques. Sa présence met en danger la vie de ceux qui l’entourent…

Après mûre réflexion, le prince, euh, pardon, le second lieutenant n’ira pas en Irak.10 Même les fanatiques d’Al-Qaïda suivent ses allées et venues dans la presse à scandale!

«COMME DES PIÈCES D’ÉCHEC»

Plus tard, le prince se retrouve en Afghanistan, dans une zone de combat, aux commandes d’un hélicoptère Apache. Il se vante même d’avoir tué 25 talibans. «Ce n’était pas un nombre dont j’étais fier. Ni un nombre dont j’avais honte, écrit-il […] C’était comme des pièces que l’on enlevait sur un échiquier.»11

Mine de rien, ces confessions ont peut-être coûté la mort d’Alireza Akbari, un politicien iranien qui possédait la citoyenneté britannique. Au début de l’année, M. Akbari avait été condamné à mort pour «espionnage». Le 17 janvier, le ministère iranien des Affaires étrangères a annoncé son exécution en la reliant au livre du prince.

Sur Twitter, le ministre iranien a publié le message suivant : «Le régime britannique, dont un membre de la famille royale considère le meurtre de 25 personnes innocentes comme le retrait de pièces d’échecs et n’éprouve aucun regret à ce sujet, et ceux qui ferment les yeux sur ce crime de guerre ne sont pas en mesure de prêcher sur les droits humains.»12

Les fanfaronnades princières auraient-elles coûté une vie? Allez savoir. Harry est déjà passé à autre chose. Une semaine après la sortie de son livre, il en avait déjà vendu 3,2 millions d’exemplaires!13

VERS UNE GRANDE RÉCONCILIATION?

Attaqué de toute part, Harry se défend de vouloir détruire la monarchie. C’est tout le contraire! Monsieur prétend qu’il tente de la sauver!14 À l’entendre, son livre aurait pu être pire. La première version faisait 800 pages. Il en aurait coupé la moitié! Des passages trop méchants.

Harry est accusé de révéler des histoires de famille. Précisément le genre chose qu’il reproche lui-même à la presse à scandale. Signe des temps, le couple formé par le prince et Meghan Markle est plus impopulaire que le prince Andrew, impliqué dans une affaire de pédophilie…15

Une fois de plus, certains prédisent le début de la fin de la monarchie. Mais ne pariez pas trop là-dessus. La famille Windsor semble immunisée contre les scandales. Même sa fortune colossale ne choque plus.16 19 milliards $? 28 milliards $? Ça dépend des méthodes de calcul!17 On ne rigole même plus lorsque la romancière Hilary Mantel compare les «royaux» à des pandas. «Chers à entretenir et complètement inadaptés à la vie moderne».18

Les chiens aboient. La télé-réalité royale continue. Certains tentent déjà de prédire le prochain épisode, le prochain rebondissement. À quelques mois du couronnement du roi Charles, une grande réconciliation familiale n’est pas exclue.19

La dernière blague raconte la visite du roi Charles dans un hôpital psychiatrique. Pour clore la visite, Charles prononce un discours. Un vrai succès. Au terme de son allocution, le roi soulève un tonnerre d’applaudissements.

Seul un homme reste de marbre, appuyé contre un mur, au fond de la salle. Les bras croisés, il observe la foule en délire d’un air sceptique.

Le monarque, un peu insulté, se dirige aussitôt vers l’impertinent.

— Qu’est-ce qui ne va pas? Pourquoi n’applaudissez-vous pas? demande-t-il.

— Du calme, répond l’homme. Je ne suis pas un pensionnaire. Je travaille ici.»

Notes

(1) Prince Harry Book Gets Critical Mauling in UK, Agence France-Presse (AFP), 6 janvier 2023.

(2) Prince Harry, Spare, Random House Canada, p. 79. (traduction libre)

(3) Prince Harry, Spare, p. 17. (traduction libre)

(4) Prince Harry, Spare, p. 15.

(traduction libre)

(5) Who Is Harry’s Celebrated Ghostwriter, JR Moehringer, BBC News, 10 janvier 2023.

(6) Spare, Digested by John Grace,

The Guardian, 12 janvier 2023.

(7) Has Prince Harry’s Confessional Tour Run Its Course? The New York Times,

9 janvier 2023.

(8) Prince Harry, Spare, p. 121.

(traduction libre)

(9) Harry «the Mother of All Targets» in Iraq, The Guardian, 22 avril 2007. (10) Prince Harry Won’t Go to Iraq, Reuters, 16 mai 2007.

(11) Prince Harry, Spare, p. 217.

(traduction libre)

(12) Iran Uses Prince Harry’s Taliban Kill Count Revelation to Justify Alireza Akbari Execution, The Telegraph,

17 janvier 2023.

(13) A Royal Smash: Prince Harry’s «Spare’ Sells Over 3.2 Million Copies in a Week, Fortune, 19 janvier 2023.

(14) Prince Harry: «There’s Enough for Another Book – I Cut Memoir in Half to Spare My Family», The Telegraph,

13 janvier 2023.

(15) Harry et Meghan Less Popular than Prince Andrew Among Older Britons, new Poll Reveals,

(16) How Rich Are Britain’s Royals?

Foreign Policy, 12 septembre 2022. (17) The Secretives Rules of Royal Wealth, The Washington Post,

13 septembre 2022.

(18) «Spare»: A Flawed Attempt to Reclaim the Narrative, The Guardian,

10 janvier 2023.

(19) Une réconciliation entre Harry et la famille royale possible avant le couronnement, Agence France-Presse, 15 janvier 2023.

LE MONDE

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2023-01-28T08:00:00.0000000Z

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