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Ça pue!

MANON CORNELLIER COLLABORATION SPÉCIALE mcornellier@ledroit.com

Le 25 octobre dernier, moins de 24 heures après la conclusion des élections municipales ontariennes, le gouvernement Ford présentait à l’Assemblée législative un projet de loi réformant en profondeur le processus de planification urbaine. Début novembre, le ministère des Affaires municipales et du Logement complétait sa révision statutaire des plans d’aménagement municipaux en imposant unilatéralement une expansion des zones ouvertes au développement.

Ce gouvernement a ainsi délibérément profité du fait que les conseils municipaux étaient en pleine transition pour faire adopter à toute vapeur son projet de loi 23 visant prétendument « à accélérer la construction de plus de logements » et pour modifier des décisions fondamentales que les conseils sortants avaient prises. Débats, consultations, votes, sanction royale ont été bouclés en seulement 34 jours de calendrier.

Cette importante réforme et l’expansion des zones urbaines sont indissociables. La première limite de façon draconienne le pouvoir des élus municipaux d’encadrer le développement qui se fera sur tout leur territoire. La modification unilatérale des plans d’aménagement, elle, élargit les zones où ce développement moins contrôlé pourra se faire. Je reviendrai sur l’enjeu des pouvoirs municipaux dans d’autres chroniques, mais pour l’instant, attardons-nous à cette décision d’ouvrir à la construction davantage de terres agricoles, de forêts et de milieux humides, dont environ 3000 hectares protégés de la ceinture de verdure de la région de Toronto et de Hamilton.

Plusieurs médias ont révélé que certaines terres exclues par les villes des zones ouvertes au développement ont été achetées par des promoteurs immobiliers quelques mois ou semaines avant que le gouvernement renverse la décision des élus municipaux. Ce serait le cas pour des terres de la ceinture de verdure torontoise. Ces révélations ont immédiatement provoqué un tollé. Les soupçons de partage d’information privilégiée ont vite surgi.

La Police provinciale de l’Ontario a reçu des plaintes. Les chefs des trois partis d’opposition ont demandé à la vérificatrice générale Bonnie Lysyk d’évaluer les impacts environnementaux et financiers des changements apportés à la ceinture de verdure, ce qu’elle a accepté de faire. La députée et possible future cheffe néo-démocrate Marit Stiles a pour sa part demandé au commissaire à l’intégrité David Wake d’enquêter sur les agissements du ministre des Affaires municipales et du Logement, Steve Clark, afin de vérifier s’il était responsable de fuites. Pour l’instant, toutes les enquêtes ne visent que le dossier de la ceinture de verdure torontoise.

Il serait souhaitable cependant que ces enquêtes aient une plus grande portée vu le nombre de villes potentiellement touchées, y compris Ottawa. Ici aussi les délimitations des zones urbaines décidées par le dernier conseil ont été ignorées au profit d’un élargissement du territoire à bâtir.

Ce n’est pas tout. Il y a dans l’est de la ville une belle terre agricole de 37 hectares que le conseil n’a jamais envisagé inclure dans la zone urbaine, interdisant du coup d’y faire du développement domiciliaire. Le gouvernement a renversé la décision du conseil l’automne dernier. Étrangement, a rapporté la CBC, une entreprise, dirigée par cinq hommes d’affaires ayant contribué au Parti conservateur en 2021 et 2022, en a fait l’acquisition pour 12,7 millions en août 2021.

On pourrait juger que c’est payé le gros prix pour une terre impossible à développer. Mais quand une telle interdiction disparaît, le prix peut aisément se transformer en aubaine. Le vendeur y a peut-être perdu au change parce que s’il avait su… Mais justement, comment l’acheteur, lui, a-t-il pu flairer une si bonne affaire?

Député d’Ottawa-Sud, chef intérimaire du Parti libéral de l’Ontario, John Fraser est un des chefs qui se sont adressés à la vérificatrice générale. Il convient en entrevue qu’il serait souhaitable que les enquêtes visent plus large et incluent Ottawa. Prendra-t-il l’initiative de le demander? Il esquive, refuse de se mouiller pour l’instant, mais souligne que ce dossier est loin d’être clos et qu’il hantera le gouvernement encore longtemps tant le bris de confiance est grand. Doug Ford avait promis de ne pas toucher à la ceinture de verdure torontoise, mais l’a fait. Et toute l’expansion excédentaire des zones urbaines n’est pas, comme le prétend le gouvernement, une réponse à la crise du logement, ajoute John Fraser.

Même le Groupe d’étude sur le logement abordable, mis sur pied par le gouvernement Ford, disait dans son rapport publié en février 2022 qu’une « pénurie de terrains n’est pas la cause du problème. Des terrains sont disponibles, à la fois à l’intérieur des zones bâties existantes et sur des terrains non aménagés à l’extérieur des ceintures de verdure ».

L’Association des municipalités ontariennes, les chefs autochtones, les organisations environnementales et de défense des mal-logés, nombre de conseils municipaux et de citoyens ont exprimé leur désaccord.

Alors qui souhaitait tous ces empiètements? Qui peut en profiter? Cette affaire doit être creusée et en particulier ces achats faits récemment, en amont de la présentation du projet de loi. Les chefs des partis d’opposition devraient unir leur voix à nouveau pour l’exiger.

OPINIONS

fr-ca

2023-01-28T08:00:00.0000000Z

2023-01-28T08:00:00.0000000Z

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