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Ottawa tranquille, comme on l’aime

MARIE-CLAUDE LORTIE mclortie@ledroit.com RÉDACTRICE EN CHEF

Aux États-Unis, ils ont envahi le Capitole. Au Brésil, ils ont pris d’assaut et saccagé trois lieux de pouvoir, la Cour suprême, le Congrès et le Palais présidentiel.

Au Canada, ils sont arrivés avec des camions, leurs émanations de diesel et leurs klaxons. Ils se sont installés dans le coeur de la capitale avec leur jacuzzi et leur bruyante colère. La police ne les a pas stoppés comme elle aurait dû. Les leaders politiques ne les ont ni suffisamment condamnés – Pierre Poilièvre – ni suffisamment écoutés – Justin Trudeau. Et finalement ils sont repartis, remorqués manu militari, sans morts ni blessés graves.

Leur passage a laissé des séquelles, car ils ont fait peur à bien du monde.

Mais ils n’ont pas ébranlé la démocratie.

Ils n’ont jamais fait craindre le pire comme à Brasilia, où les cauchemars de coup d’État ont refait surface, comme à Washington, où on s’est demandé pendant un instant, et on se demande encore, si la folie des extrémistes pro-Donald Trump allait détériorer à jamais les principes politiques les plus fondamentaux du pays de Barack Obama, Hillary Clinton et Abraham Lincoln.

Au Canada, ce qui est ressorti de la crise, c’est que la police d’Ottawa n’avait pas bien géré cette manifestation, en permettant aux camionneurs de s’installer dans le centre-ville, avec leurs bruits assourdissants, leurs pots d’échappement et trop d’agressivité. En cherchant des explications, on a compris qu’un mélange d’une certaine sympathie policière pour leur cause —une rébellion contre une exigence vaccinale — de confusion de responsabilités, d’absence d’appuis notamment du gouvernement provincial, et j’ajouterais de bonhommie canadienne, avait mis la table pour ces trois semaines infernales.

Mais jamais, à travers tout ça, et encore maintenant, a-t-on cru que nos institutions allaient y passer. Que les résultats de nos élections seraient remis en question. Que nos élus seraient attaqués. Que les colonnes du temple seraient ébranlées.

L’occupation d’Ottawa aura été, finalement, un gâchis. Mais rien qui fait croire, avec des frissons dans le dos comme au moment des autres événements de janvier de deux autres grandes démocraties, que les principes fondamentaux régissant notre collectivité sont en danger.

On a beaucoup dit, avec le recul, que la police et la Ville d’Ottawa avaient mal géré la crise. Que Toronto et Québec ont mieux réagi quand des camionneurs se sont activés là-bas aussi. Que s’il n’y a pas eu de crise politique sérieuse, il y a eu une crise administrative.

Mais ces villes n’ont-elles pas profité de l’expérience de la capitale ?

N’ont-elles pas été en mesure de prendre les bons moyens pour contrôler les camions précisément parce que, rendu plusieurs jours plus tard quand leurs camionneurs se sont manifestés, on savait bien que l’événement n’était pas qu’un simple convoi bloquant la circulation, mais une sorte d’occupation?

La direction d’Ottawa et de ses services policiers peut prendre et doit accepter une grande partie du blâme pour le désordre qui a marqué l’occupation d’Ottawa l’hiver dernier.

Mais à la défense de notre capitale, et il y a sûrement là un élément démocratique important à relever, on ne peut pas oublier l’absence totale de collaboration du gouvernement provincial ontarien, qui a traité Ottawa et le fait régulièrement, comme si c’était une entité fédérale qui n’est pas réellement de son ressort. Dont il n’a pas besoin de s’occuper.

Les citoyens, les électeurs ontariens d’Ottawa auraient dû pouvoir compter dès le tout début de l’événement, sur l’appui des forces policières provinciales. Et sur l’appui politique et moral de Doug Ford, leur premier ministre.

Il les a laissés tomber.

Un an après cette surprenante manifestation, on peut dire que la démocratie canadienne se porte plutôt bien. Des élections municipales ont eu lieu en Ontario, donc à Ottawa, et au Québec en 2022. Tout s’est passé dans la plus grande normalité.

Ouf!

La possibilité d’un convoi anniversaire a été écartée.

Des discussions démocratiques, civiques et civilisées, sont en marche un peu partout, dans les médias, les universités, pour voir ce qu’on doit faire pour aider le Canada à ne pas se polariser politiquement encore plus. Doit-on dire tout ça pour ça ? Et que le niveau d’exaspération politique, la colère, qui a poussé la crise était lié aux successions de confinements pandémiques ? Futelle une étrange soupape circonstancielle ? Le fruit de conditions spécifiques liées à l’étouffement social causé par le virus?

Bientôt la circulation reprendra rue Wellington, devant le Parlement, dernier symbole du retour à la normale.

«Make Ottawa boring again», disaient les contre-manifestants, en riant du fameux slogan américain.

Redonner à Ottawa son côté un peu trop tranquille? Allons-y.

On l’adore exactement comme ça.

ÉDITORIAL

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2023-01-28T08:00:00.0000000Z

2023-01-28T08:00:00.0000000Z

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