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L’ALCOOL EST- IL «TOUJOURS TOXIQUE»?

JEAN-FRANÇOIS CLICHE jfcliche@lesoleil.com

— 123RF

L’AFFIRMATION «La nouvelle controverse de l’heure est que l’alcool n’aurait pas de dose sans danger, il serait toujours toxique, même en quantités infimes. Mais beaucoup des maladies auxquelles il est associé sont rares. Par exemple, on peut dire que l’alcool augmente le risque de cancer de l’oesophage de 50 %, mais si l’incidence de ce cancer est de 1/15 000, alors l’alcool le ferait passer à 1,5/15 000. Donc est-ce qu’il vaut la peine d’en faire tout un plat?» demande Sylvain Gagnon, de Chicoutimi.

LES FAITS

Cette controverse est née d’un rapport du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS) [https:// bit.ly/400DuKG] qui recommande d’abaisser les recommandations de consommation d’alcool à seulement deux verres par semaine. C’est évidemment très en dessous des lignes directrices actuelles de Santé Canada [https://bit.ly/3wt3el8], qui sont de deux verres par jour (ou 10 par semaine) pour les femmes et trois (15/sem.) pour les hommes.

Essentiellement, le document conclut qu’il n’existe pas de dose «sans danger» pour l’alcool et que même pour la consommation la plus légère, les risques l’emportent sur les avantages. Et c’est sur ce point que porte la controverse parce que la position (très) majoritaire dans les milieux scientifiques et de la santé est qu’une consommation modérée a un effet protecteur, en particulier contre les maladies coronariennes.

Le CCDUS le reconnaît puisque ses tableaux 3 et 4 (en p. 27-28 du rapport) indiquent que, comparée aux gens qui ne boivent jamais, la protection contre les «maladies ischémiques du coeur» allonge la vie de 39 ans par 1000 femmes et de 64 ans par 1000 hommes pour ceux qui consomment de 1 à 7 verres par semaine.

Mais, d’une part, le CCDUS considère que cette protection se transforme en facteur de risque pour ceux qui boivent entre 14 et 21 verres par semaine : -30 années de vie par 1000 femmes, et -50 chez les hommes.

Et d’autre part, son rapport compte aussi les années de vie perdues pour 20 autres conséquences prouvées de la consommation d’alcool : plusieurs types de cancer, cirrhose du foie, risque accru d’accident et de violence, etc.

À cet égard, M. Gagnon a raison de penser que certains de ces problèmes sont rares et que même si l’alcool en accroît beaucoup le risque, l’effet final sera faible à l’échelle d’une population entière. Par exemple, même à 35 consommations par semaine, le risque accru de cancer du larynx n’enlève que 5,7 années de vie par 1000 femmes (toujours comparé aux abstinents) et une vingtaine chez les hommes.

Mais j’ai fait la somme de tous ces effets et, d’après les données considérées par le CCDUS, il n’y aurait qu’à un verre par semaine que l’alcool a un effet net positif (+24 années de vie par 1000 femmes et +35 chez les hommes).

Dès la deuxième consommation par semaine, l’effet total devient légèrement négatif (-10 et -4 années par 1000), et le bilan noircit rapidement par la suite — à 7 drinks par semaine, par exemple, la somme est de -220 années de vie par 1000 personnes.

Sur quelles bases?

On ne peut pas dire que le rapport du Centre canadien sur les dépendances ne repose sur rien. L’organisme a passé en revue près de 6000 études et articles scientifiques pour accoucher de ses nouvelles recommandations.

Mais voilà, un des principaux reproches [https://bit.ly/3Jo6fea] qui lui a été fait depuis sa parution [https://bit.ly/3WyhyDz] est qu’il n’en a retenu qu’une poignée : après avoir appliqué des critères de sélections apparemment très stricts (et qui peuvent se défendre par ailleurs, là n’est pas la question), les auteurs n’ont fondé leurs conclusions que sur 16 «métaanalyses», soit des articles qui regroupent les données de plusieurs études différentes sur une même question afin d’en dégager une tendance.

Ça reste donc une très petite partie de la littérature scientifique. Une partie qui peut avoir ses mérites, mais une infime partie quand même.

C’est sans doute ce qui explique pourquoi ses conclusions divergent à ce point du reste des exercices du même genre. Par exemple, en 2017, le Journal of the American College of Cardiology a publié une étude [https:// bit.ly/3WCH2zQ] montrant que le risque de décès toutes causes confondues était 21 % plus bas chez les gens buvant modérément (moins de 2 verres par jour chez les hommes, 1/j chez les femmes). Même chose dans une étude européenne parue la même année [https://bit.ly/3kKtjtk].

De même, les lignes directrices que le Royaume-Uni a révisées en 2016 [https://bit.ly/2KlUKpH]

et celles publiées par l’Australie en 2020 [https://bit.ly/3Dfa3Lg]

— travaux que le CCDUS a pourtant pris comme point de départ — recommandent de s’en tenir à deux verres par jour. Et on pourrait ajouter plusieurs autres [https://bit.ly/2wezIUg]

revues de littérature [https:// mayocl.in/2H8Bf32] qui vont dans le même sens [https://bit. ly/3XUk5sU].

Fait intéressant, une énorme étude nommée «Global Burden of Diseases, Injuries and Risk Factors Study» (GBD), qui estime le nombre d’années de vie sont perdues à cause de toutes sortes de problèmes de santé, avait conclu en 2018 [https://bit.ly/3Y1DZCt] qu’«aucun niveau de consommation d’alcool n’améliore la santé» — comme quoi la position du Centre canadien sur les dépendances n’est pas complètement farfelue non plus. Mais ce même GBD s’est par la suite rangé du côté de la majorité dans une mise à jour parue l’été dernier dans The Lancet [https://bit.ly/406SnuP], concluant qu’une consommation légère ou modérée est bénéfique.

L’article du GBD met d’ailleurs en lumière la complexité de tout cela. Selon le groupe d’âge, le sexe ou même la région du monde, les risques et bénéfices de l’alcool ne sont pas les mêmes. Par exemple, une personne d’une soixantaine d’années en piètre forme physique pourrait beaucoup profiter de la protection contre les maladies cardiovasculaires, alors que celle-ci ne donnera pratiquement rien à autre personne dans la trentaine et en forme. Dans ce groupe d’âge, la hausse du risque d’accidents liés à l’alcool pèse beaucoup plus lourd, et les effets de l’alcool sont plus négatifs.

C’est d’ailleurs un autre reproche qui est fait au rapport du CCDUS. Celui-ci inclut en effet dans ses calculs certains inconvénients de l’alcool sans égard au contexte, comme un risque accru de décéder de la tuberculose, ce qui n’est pas particulièrement pertinent dans un pays comme le Canada.

On pourrait aussi ajouter que les calculs du Centre canadien sur les dépendances ne tiennent pas compte des effets non létaux de l’alcool (à consommation modérée), qui peuvent eux aussi être bénéfiques [https://bit.ly/3R3O1AJ] ou mauvais [https://go.nature. com/3wt57OL].

Au final, si ce rapport a ses mérites — il est vrai, notamment, qu’on a tendance à sous-estimer la nocivité de l’alcool —, il me semble n’être qu’une lecture de la littérature scientifique, pas la seule qui soit valable.

Le CCDUS présente l’idée qu’il n’existe pas de dose bénéfique de l’alcool comme une nouveauté qui rallie de plus en plus de savants. On verra à l’avenir si d’autres organismes de santé publique finissent par faire la même lecture que lui, mais, pour l’instant, tout indique qu’il n’a pas convaincu grand monde et que sa vision des choses demeure minoritaire.

VERDICT

A priori faux. Il est évident que l’alcool a une toxicité, mais de très nombreuses études indiquent qu’à faible dose, il peut être bénéfique pour la santé. Le rapport du CCDUS a fait une lecture particulière de la littérature scientifique qui, pour l’instant, demeure très minoritaire.

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2023-01-28T08:00:00.0000000Z

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