LeDroitSurMonOrdi.ca

CHEZ LE PRÊTEUR POUR PAYER L’ÉPICERIE

BENOIT SABOURIN bsabourin@ledroit.com

Les prêteurs sur gage n’ont pas fait de bonnes affaires durant la pandémie. Mais aujourd’hui, inflation oblige, ils voient de nouveaux visages à leurs portes.

Avant, les gens venaient pour toutes sortes de raisons, mais quand le prix de l’essence a commencé à monter, on a eu une grosse augmentation de nouveaux clients, explique Shawn Stinson du Howard’s Pawn Shop sur l’avenue Carling, à Ottawa.

« Ce qu’on voit plus, ce sont des mères monoparentales qui viennent pour payer leur facture d’épicerie. On sert des personnes ordinaires qui sont tellement serrées avec le coût de la vie d’aujourd’hui qu’elles ont besoin d’un petit extra jusqu’à leur prochaine paie. »

« J’ai reçu un téléphone d’une dame qui m’a dit “j’ai besoin de 10 $ pour aller chercher du lait pour ma fille” », confie Wadie Narouz de Aladdin Pawn Shop, située rue Notre-Dame, à Gatineau. « Quand j’entends ça, j’ai les larmes aux yeux et dans le coeur. [...] Quand une infirmière vient me voir, qu’elle me dit qu’elle n’arrive pas à s’en sortir, qu’elle a besoin de 150 $ pour acheter du gaz pour aller au travail et qu’elle prête sa bague en échange, c’est sensible. » Il dirige certains clients vers des ressources communautaires quand c’est possible.

Tous les commerces de prêts sur gage de la grande région de la capitale fédérale contactés par Le Droit disent avoir observé une augmentation de la clientèle non familière de leur établissement dans les derniers mois, avec la hausse du coût du panier d’épicerie et le prix de l’essence qui demeure élevé.

Contrairement à ce que pourrait laisser entrevoir le contexte actuel, les affaires sont cependant loin d’être ce qu’elles étaient en comparaison avec l’ère pré COVID-19 pour ces entreprises dont la réputation n’est pas toujours la plus encensée par le grand public, disent les administrateurs interrogés par Le Droit.

« Je prêtais beaucoup plus avant la pandémie. Ça prend du temps à remonter », confie Danielle Richer, propriétaire de Tabagie Canada Pawn, sur le bouvard Saint-Raymond, dans le centre-ville de Hull.

« On s’attendait, quand il y a eu réouverture, à ce que les affaires reprennent en force, mais croyezle ou non, c’est l’opposé, relate M. Stinson. Avec toute l’aide gouvernementale qui a été donnée par le gouvernement durant la pandémie, les gens n’ont pas nécessairement besoin de venir chercher des prêts. »

Dans les derniers mois, des nouveaux visages sont venus cogner à la porte du Howard’s Pawn Shop pour obtenir de l’argent comptant rapidement, a toutefois remarqué M. Stinson qui connaît bien sa fidèle clientèle.

La hausse marquée du coût de la vie est souvent citée par certains clients comme argument lorsque ceux-ci se présentent pour venir déposer de la marchandise en échange d’un prêt ou pour vendre des articles, souligne le prêteur.

Si janvier est généralement un mois très achalandé dans les commerces de prêts sur gage puisque les gens ont dépensé beaucoup avant la période des Fêtes pour offrir des cadeaux et qu’ils doivent ensuite se tourner vers ces magasins pour emprunter de l’argent parce que leurs économies sont mal en point après Noël, ce n’est pas le cas en 2023, observe le propriétaire du Howard’s Pawn Shop de l’avenue Carling.

« C’est très tranquille cette année. J’ai l’impression que beaucoup de gens n’ont pas dépensé autant qu’ils l’auraient voulu à Noël », affirme l’homme d’affaires.

PLUS D’APPELS POUR DE L’AIDE

À la tête depuis 21 ans de l’entreprise Aladdin Pawn Shop, Wadie Narouz mentionne que le nombre de demandes pour des prêts liés avec des gens en difficulté a augmenté dans les derniers mois. Seulement entre samedi après-midi et lundi midi, l’homme d’affaires avait reçu une cinquantaine d’appels à son commerce, pour des prêts. M. Narouz confie que de nombreuses personnes sont venues pour tenter de vendre leur cadeaux de Noël, cette année, afin de recevoir de la liquidité « pour survivre ».

L’ancien travailleur social se dit désolé par la situation. Si une personne tient à son bien, qu’elle vient pour le récupérer après la fin du contrat de 30 jours qui est expiré et renouvelable, mais qu’elle n’a pas la somme pour rembourser son prêt, M. Narouz peut être flexible sur les intérêts imposés à débourser, précise-t-il.

Danielle Richer estime qu’il ne faut pas généraliser. Elle note avoir observé des clients non traditionnels ces derniers temps dans sa boutique Tabagie Canada Pawn, mais c’est très minime. Selon la femme d’affaires, qui a démarré les Howard’s Pawn shop en 1993, avec son défunt mari,

Howard Graveline, ce n’est pas une tendance. Celle-ci croit qu’il y a une variable géographique à prendre en considération pour évaluer le marché.

« Ça dépend de chaque commerce. Je suis située sur un boulevard et c’est très passant. Moi, j’ai beaucoup de travailleurs et les raisons ne sont pas nécessairement toujours les bonnes pour venir emprunter. Les personnes partent surtout d’ici pour aller jouer au casino. »

« MALHEUREUSEMENT, C’EST UNE CONSÉQUENCE »

Professeur de psychologie et chercheur au Centre de recherche sur les services éducatifs et communautaires de l’Université d’Ottawa, Tim Aubry rappelle qu’environ un tiers des Canadiens et Canadiennes n’ont pas d’épargnes personnelles et vivent de semaine en semaine.

Avec la hausse globale du prix de la vie et l’inflation alimentaire qui a bondi de 10 % au pays, en 2022, M. Aubry se dit peu surpris de voir des gens moins familiers des boutiques de prêts sur gage devenir clients de ces endroits.

« Malheureusement, c’est une conséquence. Ce sont des gens qui n’ont pas d’autres recours. Probablement qu’ils ont épuisé leur carte de crédit. Ceux qui sont plus démunis n’ont pas d’épargnes personnelles. Pour ces gens, c’est la fin de la ligne comme source de monnaie pour survivre et c’est inquiétant », témoigne le chercheur.

Il estime que le salaire minimum ne correspond pas à la réalité économique et que les gouvernements doivent en faire plus pour aider la population. M. Aubry souligne que le contexte de pauvreté ne date pas d’hier. L’inflation n’a fait qu’exacerber le tout. Les magasins de prêts sur gage deviennent « une question de survie », de l’avis de l’expert.

« Si on regarde la situation de ceux qui reçoivent des bénéfices sociaux, ce n’est pas assez, illustre le professeur à l’Université de l’Ottawa. C’est pour ça qu’on a un taux élevé d’itinérance. C’est le fait que ceux qui sont au plus bas de l’échelle socioéconomique n’ont pas les moyens pour s’en sortir. On ajoute à ça l’inflation et ça rend ça pire. Comme conséquence, ça amène plus de gens qui sont dans des situations difficiles à utiliser des commerces de prêts qui ne vont certainement pas les aider. C’est vraiment une stratégie à court terme qui va les faire reculer. »

LA UNE

fr-ca

2023-01-28T08:00:00.0000000Z

2023-01-28T08:00:00.0000000Z

https://ledroit.pressreader.com/article/281779928261556

Groupe Capitales Media