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Le «Convoi de la liberté» aurait cristallisé le mouvement complotiste

ANI-ROSE DESCHATELETS adeschatelets@ledroit.com

Alors que la pandémie de COVID-19 a été un véritable feu roulant pour le mouvement complotiste, le «Convoi de la liberté» d’Ottawa a cristallisé le phénomène, selon des experts. Il a clairement démontré au cours de la dernière année que le Canada n’est pas à l’abri des mouvements plus radicaux.

« Le mouvement minoritaire, mais loin d’être marginal, à Ottawa a montré que les gens étaient capables de se mobiliser et d’avoir un impact bien plus important que ce qu’ils pensaient avant », a soutenu au Droit David Morin, professeur de sciences politiques à l’Université de Sherbrooke.

La professeure au département de communication de l’Université de Sherbrooke, Marie-Ève Carignan, et lui sont tous deux cotitulaires de la chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent. Ils ont publié l’automne dernier le livre Mon frère est complotiste : comment rétablir le lien et le dialogue social.

Ce projet se voulait une façon de faire oeuvre utile pour le grand public afin d’aider à mieux comprendre le phénomène, à apprendre comment agir lorsqu’un proche bascule radicalement dans les théories du complot et à essayer de comprendre comment rétablir le dialogue social. Le « Convoi de la liberté » d’Ottawa, qui a été une crise de gestion à plusieurs niveaux, a indiqué David Morin, a donc indubitablement été pour les auteurs un terreau fertile de réflexion du mouvement complotiste au cours des derniers mois. « Parce que la pandémie et le convoi d’Ottawa ont vraiment créé des fissures dans la société québécoise et canadienne, a indiqué David Morin. Et ça,ça ne concerne pas seulement les gens qui adhèrent aux théories du complot. Ça concerne aussi le gouvernement qui doit faire son mea culpa sur certaines choses, ça concerne les médias où certains d’entre eux ont eu un traitement discutable des gens qui y adhèrent, et puis nous, individuellement. »

AMALGAME

L’une des problématiques principales que l’oeil extérieur du public retient de ces trois semaines d’occupation, soulignent les professeurs, est l’amalgame qui s’est fait des individus qui se trouvaient dans la capitale fédérale.

« C’est vraiment plus compliqué que des complotistes ou des extrémistes à Ottawa, avance M. Morin. C’est vraiment un mouvement très hétérogène qui a pris beaucoup d’ampleur grâce aux réseaux sociaux, grâce à certaines mesures de désinformation, à la capacité de mobiliser de l’argent très rapidement, même si la majorité n’est pas arrivée dans les poches des camionneurs. »

L’utilisation du mot complotiste devrait d’ailleurs être utilisée avec parcimonie, croient les cotitulaires. Les gens sont rapides sur la gâchette à associer le terme complotiste à chaque individu qui critique les mesures sanitaires, martèle David Morin. « Il y a des gens qui portent ces critiques-là qui ne sont pas du tout complotistes. Alors il faut faire attention, parce que ce terme est une étiquette infamante qu’on colle pour [délégitimiser] les propos. Hors non, ce n’est pas vrai. Il y a des critiques qu’il faut être capables d’écouter. »

Selon les données recueillies au pays, indiquent-ils, plus un individu possède un diplôme élevé, moins il a de chances d’adhérer au complotisme. Mais dans les faits, il y a beaucoup de personnes très éduquées qui adhèrent au mouvement, tient à souligner David Morin. « Il n’y a pas un profil type du complotiste. [...] On aurait tort de penser que tout le monde est pareil dans ces mouvements-là. »

Selon Marie-Ève Carignan, les agendas disparates présents au « Convoi de la liberté » ont surtout démontré que notre société était vulnérable à des débordements, comme ce qui s’est passé lors de l’Assaut du Capitole américain, le 6 janvier 2021.

« À Ottawa, il y a eu deux choses qui se sont mélangées. Il y a eu des gens qui y allaient de bonne foi, manifester, questionner certaines mesures de façon légitime, appuyer les camionneurs. Mais ils ne se rendaient pas toujours compte qu’ils manifestaient main dans la main avec des organisateurs et autres qui avaient vraiment d’autres agendas politiques et contestaient la légitimité du gouvernement avec un discours plus proche de l’extrême droite. »

DISCOURS TOUJOURS AUSSI VIRULENT

Mais un an après les manifestations d’Ottawa, la menace complotiste n’est pas moindre, soutiennent les experts. Gare à ceux qui croient qu’avec la pandémie qui s’estompe, les théories du complot feront de même. Les leaders de groupes complotistes qui nourrissent la méfiance ont plusieurs agendas et Ottawa n’y a pas mis un frein, loin de là. « Quand on fait nos analyses dans les cercles conspirationnistes, on se rend compte que le discours est toujours aussi virulent, note Marie-Ève Carignan. On va avoir de nouveaux leviers et souvent ça va être des moments d’instabilité et de crise. Et en ce moment, le terreau est fertile. »

La crise climatique ou la crise économique, par exemple, font partie des problématiques qui vont générer des situations qui sont propices à de la désinformation de masse et à l’adhésion à des théories du complot.

M. Morin et Mme Carignan sont convaincus que la société canadienne polarisée est loin d’être sortie de l’auberge. « Nous on voit peut-être un essoufflement général avec la baisse de la pandémie, mais le noyau dur est encore là et ces gens ont appris leur leçon, soutient M. Morin. Les purs et durs vont s’appuyer pour continuer leurs revendications, alors que d’autres vont retourner à leurs occupations. »

D’autant plus que certains n’ont toujours pas digéré le recours à la Loi sur les mesures d’urgence. « Tout ça, ça s’inscrit dans une histoire qui est en cours de constitution. Le Convoi a nourri l’histoire de ce mouvement-là avec un fort sentiment de victimisation voulant que le gouvernement fédéral ait utilisé un énorme marteau pour écraser une mouche. »

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2023-01-28T08:00:00.0000000Z

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