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LE GRAND PERDANT DU «CONVOI DE LA LIBERTÉ»

ANTOINE TRÉPANIER atrepanier@ledroit.com

SUR LA COLLINE

À pareille date l’année dernière, Maxime Bernier était une véritable vedette à Ottawa. Aujourd’hui, le chef du Parti populaire du Canada (PPC) se fond dans le décor enneigé du centre-ville. Mais qui a gagné l’épisode du «Convoi de la liberté»?

La rue Wellington devant le parlement est déserte et toujours fermée à la circulation automobile.

C’est au Little Victories Coffee, à deux pas de là, que nous rencontrons Maxime Bernier. Le petit commerce de la rue Elgin a fermé ses portes pendant les quatre semaines du convoi pour des raisons de «sécurité».

En face, on aperçoit la Tombe du Soldat inconnu, profanée il y a un an par une manifestante qui croyait bon imiter Rocky sur ce lieu quasi sacré de la capitale fédérale.

Puis au loin, on voit le parc où des manifestants avaient construit illégalement un cabanon pour y servir des repas. Enfin, il y a l’intersection Rideau-Sussex, théâtre d’une opération policière historique.

Non, Maxime Bernier ne regrette rien. Le convoi, c’était une manifestation «pacifique», «spontanée» regroupant des Canadiens qui voulaient se battre «pour leur liberté».

«Les Canadiens ont gagné. Les mesures sanitaires sont tombées quelques semaines après», dit-il.

Si de nombreux Canadiens étaient sympathiques au message de ras-le-bol porté par les manifestants dans les premiers jours des manifestations, les sondages montrent que la très grande majorité d’entre eux ont déchanté.

Durant la première semaine de manifestation, un sondage auprès de 500 résidents d’Ottawa par la firme Abacus Data révélait que seulement 9% des répondants disaient être très touchés par les manifestations et 39% «pas du tout». Et pourtant, 67% des Ottaviens s’y opposaient dont près de la moitié s’y opposait fermement.

Puis, 87% croyaient que les manifestants avaient été entendus après une semaine et qu’ils devaient rentrer chez eux. Même la moitié de ceux qui appuyaient le convoi disaient qu’il était temps de partir.

Des sympathisants du convoi diront aujourd’hui que c’est faux et qu’il s’agit là de propagande gouvernementale.

Commerçants et résidents, eux, ont encore de travers les klaxons, les insultes, les feux d’artifice en plein centre-ville, la profanation de statues et de monuments, les bidons d’essence qui circulaient en pleine rue et autres.

Pour Maxime Bernier, il s’agit de cas «isolés» chez des milliers d’amoureux de la liberté.

UNE CLAQUE DANS LA FACE

Au bout du fil, Alexandre Boulerice ne mâche pas ses mots. Les Canadiens, affirme le chef adjoint du NPD, ont peut-être eu ce dont ils avaient véritablement besoin.

Pendant des années, dit-il, politiciens et électeurs croyaient que le populisme et l’extrême droite n’existaient qu’aux États-Unis ou ailleurs dans le monde. Le convoi a démontré que le Canada n’est finalement pas immunisé.

«C’est peut-être le seul aspect bénéfique à toute cette affaire-là, c’est l’espèce de claque dans la face que ça nous a donnée», dit-il.

Depuis cette occupation, les policiers d’Ottawa et de l’Ontario, la Ville et le maire d’Ottawa, le gouvernement de l’Ontario et le gouvernement fédéral ont tous fait l’objet de critiques acerbes.

«J’espère que le convoi était le point culminant et que nous revenons vers un discours démocratique plus raisonnable. Nous avons tous l’obligation de continuer à pousser et d’aller de l’avant avec le dialogue», a soutenu jeudi le ministre de la Justice du Canada, David Lametti.

Alexandre Boulerice croit que «les libéraux se sont trainé les pieds et [qu’]ils ont permis à ce mouvement d’exister et de se propager» en n’agissant pas pour contrer la haine et la désinformation en ligne.

DES LEÇONS?

«On savait qu’ils s’en venaient, tonne encore aujourd’hui le député bloquiste Rhéal Fortin. Personne n’a mis en place des mesures pour contrôler cette manifestation. C’était une situation dangereuse. Ça n’a pas de sens. J’espère que le gouvernement a compris qu’il faut un leadership, que ce soit clair et qu’il y ait une ligne de commandement.»

Le premier ministre Justin Trudeau a été accusé d’avoir été désengagé et d’avoir jeté de l’huile sur le feu en qualifiant des manifestants de «complotistes», de «racistes» et de «misogynes».

L’usage de la Loi sur les mesures d’urgence à compter du 14 février faisait tout sauf l’unanimité à l’époque. Aujourd’hui, une majorité de Canadiens semblent vouloir lui donner raison.

Mais, a-t-il «gagné» le Convoi?

TOUT LE MONDE A PERDU

«Personne n’a gagné», tranche le stratège et vice-président de la firme d’expert-conseil TACT, Yan Plante.

M. Plante a été chef de cabinet du ministre conservateur Denis Lebel au sein du gouvernement de Stephen Harper. Aujourd’hui, il qualifie le convoi de «triste événement» dans l’histoire canadienne.

Il ne voit pas qui voudra bien le brandir pour attirer des appuis. Le convoi est fini et risque de ne pas renaître de sitôt. Une version 2.0 a surgi pour souligner le premier anniversaire et est rapidement morte dans l’oeuf.

Le directeur de l’Institut d’études canadiennes de l’Université McGill, Daniel Béland, note que des politiciens ont pu tirer profit de l’affaire.

Pierre Poilievre est le premier. Le départ précipité du chef conservateur Erin O’Toole en pleine crise l’a propulsé dans la course à sa succession puis dans son siège de chef.

«Si les conservateurs s’étaient rangés derrière le gouvernement Trudeau ou avaient adopté une approche similaire ou avaient été critiques, je pense que Maxime Bernier aurait pu en profiter davantage», analyse M. Béland.

Selon lui, les conservateurs ont voulu éviter que M. Bernier profite de l’événement pour leur subtiliser des appuis. Le Parti conservateur n’a pas répondu à notre invitation pour ce reportage.

Finalement, Pierre Poilievre est parvenu à «sauver» la situation, mais au risque d’en subir les conséquences éventuellement.

PERDANT

«Le plus grand perdant, c’est Maxime Bernier. Il ne lui reste plus grand-chose. Il va lui rester les plus populistes des populistes. C’était marginal, là c’est vraiment la marginalité de la marginalité», affirme Yan Plante sans détour.

Ce constat, ils sont nombreux à l’avoir fait dans la capitale fédérale. Le principal intéressé est bien au courant.

«J’ai gagné de la crédibilité parce que je suis le seul à ‘’walk the talk’’ comme on dit en anglais. Quand ce n’était pas populaire, j’étais là. J’étais là au début, partout et pendant le Convoi de la liberté», affirme-t-il.

MAIS EST-CE PAYANT?

Certains sondages le plaçaient à près de 15% en janvier 2022, contre 3% aujourd’hui.

Le convoi a eu des bénéfices pour sa formation politique, assure-t-il, comme une attention accrue dans les médias sociaux et une augmentation des dons.

Selon les rapports Élection Canada, le Parti populaire avait reçu 704 226$ de la part de 6446 donateurs durant le trimestre se terminant en décembre 2021. Un an plus tard, il en recevait 20 000$ de plus, avec 5851 donateurs.

Un an après le «Convoi de la liberté», Maxime Bernier sirote son café au Little Victories en pensant à ses petites victoires et celles à venir.

Il nous invite à parler d’immigration et de guerre en Ukraine. Il martèle qu’il a plein de choses à dire sur une panoplie de sujets. Visiblement, lui aussi il a tourné la page sur le «Convoi de la liberté».

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