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La maternelle au masculin

DANIEL LEBLANC dleblanc@ledroit.com

Certains n’étaient pas destinés à une telle carrière, mais la créativité et la liberté les ont vite séduits. Animés par la même passion que leurs collègues, ils détonnent dans le milieu. On les compte sur les doigts de quatre mains dans la grande région de la capitale nationale. Bienvenue dans l’exigu univers des enseignants masculins au préscolaire.

Dans la très colorée classe de Dany Rossignol, qui enseigne aux élèves de la maternelle depuis 24 ans à l’école du Plateau, l’authenticité, l’envie d’apprendre et le plaisir sautent aux yeux. Chevaliers et épées ornent son local à la thématique médiévale, dont les murs sont tapissés de grandes oeuvres d’art d’enfants.

«Il n’y a pas grand monde qui peut se vanter de chanter et danser tous les jours au travail. On dit qu’il faut vivre l’instant présent, garder notre coeur d’enfant, moi je le vois et le vis au quotidien. À un moment donné, je me souviens, nous étions rendus à la fin janvier, j’étais assis à mon bureau et j’ai entendu un bruit de cloche. Je demande ce qu’est ce tintement et là un garçon se lève en disant: c’est peut-être les grelots du père Noël! J’ai éclaté de rire. Pour nous, Noël était fini, le sapin enlevé, mais lui, il a pensé à ça. J’ai comme collègues le père Noël, la fée des dents, le lapin de Pâques», s’exclame-t-il.

Même après bientôt un quart de siècle, il dit être fasciné par le bonheur facile des tout-petits «qui s’extasient devant la première tempête de neige, les coloris automnaux ou un avion qui passe dans le ciel».

Comme beaucoup de ses rares confrères masculins du préscolaire, il a perçu la possibilité d’être une sorte d’électron libre comme un bel avantage, sans compter l’absence de correction.

«Je sais qu’il y a des profs qui ont besoin d’un manuel, d’un guide, d’une phase préparatoire, mais moi, ça m’étouffe. C’est moi qui crée», lance-t-il.

Aussi surprenant que cela puisse être, c’est un hasard qui a mené celui qui a étudié en sciences des religions vers le monde scolaire. Sans attentes, l’homme a complété un baccalauréat en enseignement – alors d’une durée d’un an – puis tout s’est enchaîné à une époque où les emplois se faisaient rares: suppléance dans une classe d’accueil, avant d’être mis à pied en raison de compressions puis de revenir en se voyant confier une classe de première année. Puis une ancienne directrice lui a offert son poste actuel à l’école, alors fraîchement construite.

«En me disant que c’était du préscolaire, je lui ai répondu: bien voyons, je vais virer fou. Et là maintenant, je dis aux parents à la blague que j’étais probablement déjà fou à l’époque puisque ça fait 25 ans que j’y suis», lance celui qui a trouvé chaussure à son pied.

Amar Iabadene est arrivé au pays en 2016 avec un profil d’ingénieur mécanique. Après avoir complété une formation universitaire à Ottawa, la vie l’a fait bifurquer vers une deuxième carrière dans une classe: il est titulaire d’un groupe jardin à l’école Francojeunesse.

«Il ne se passe pas une journée où tu n’as pas un fou rire avec eux, car ils sont vraiment drôles, créatifs. [...] Les parents sont surpris, parfois. Cette année, une mère m’a dit: je cherche Mme Amar. Dans sa tête, c’était sûrement une dame. Je n’ai jamais eu de mécontents, mais un parent m’a déjà demandé pourquoi (sa) fille m’aimait autant et était si heureuse de venir à l’école chaque jour», soutient-il.

Celui qui est vite tombé dans la marmite parle des enfants avec passion.

«Avec les plus petits, c’est un mode différent des autres niveaux, c’est vraiment dynamique, ce n’est pas statique, nous ne sommes pas assis à donner des leçons. On apprend par le jeu et en même temps il y a beaucoup d’improvisation, par exemple par le biais des arts dramatiques. Ils veulent apprendre, même quand on leur donne simplement papier et crayon», dit le jeune enseignant originaire d’Algérie.

Alors que la patience est une vertu, ce dernier pense que c’est peut-être l’un des facteurs qui éloignent les hommes.

«Peut-être que nous (les hommes) en avons moins. Moi, j’en ai (rires). Les défis sont différents (au préscolaire), il y a certains côtés plus exigeants. Il faut souvent répéter dans une journée, trois, quatre fois par jour ou plus, il faut de l’aide pour l’habillement, ouvrir la boîte à lunch, etc. Et entre le respect des règles et les laisser s’amuser, on joue sur une limite très fine», analyse-t-il.

Des propos qui résonnent aussi pour M. Rossignol, qui estime que le côté maternel, que plusieurs associent naturellement aux femmes, n’est pas essentiel à tout prix.

«Tu peux être le meilleur pédagogue au monde, si tu n’as pas de gestion de classe, tu es foutu. Une main d’acier dans un gant de velours, c’est ce que ça prend au préscolaire. Pour affronter 19 élèves, il faut être en forme. [...] On croit à tort qu’à ces niveaux, il faut être maternel. Moi, je suis encadrant, structurant, je suis doux, mais je ne suis pas maternel du tout. Les élèves doivent être autonomes en un mois, je suis très exigeant mais je sais qu’ils sont capables, à moins de grandes difficultés. Chaque élève a une tâche dans la classe», explique-t-il.

Se considérant sur son X, on lui offre demain matin de changer de niveau et il refuse net.

«Je ne saurais même pas comment enseigner les fractions! (rires). C’est le niveau que je connais. Et j’ai de la patience pour les enfants de cinq ans, mais je n’en aurais pas pour ceux de 12. [...] On a beaucoup à apprendre d’eux, de leur spontanéité. Pour nous (les adultes), un conflit peut nous miner pendant toute la journée, voire des semaines, mais eux, en cinq minutes, c’est oublié, ils sont ailleurs», s’exclame l’enseignant.

À l’école des Belles-Rives, Simon Leblanc et Didier Lamoureux sortent eux aussi du lot parce qu’ils sont deux à enseigner au préscolaire, le premier à la maternelle quatre ans, le second aux élèves de cinq ans.

M. Lamoureux a étudié en génie mécanique avant de changer de voie puis de tomber sous le charme à la fois des petits mais aussi de l’ambiance de travail «moins froide», de la collégialité qui règne entre enseignants. S’imaginant davantage avec les écoliers du troisième cycle après une expérience comme moniteur de camp de jour, il a ouvert la porte à l’expérience de la maternelle, qui dure depuis sept ans.

«Je me lève le matin et je sais que ma journée va passer en un

clin d’oeil, on n’a pas le temps de s’ennuyer, avec leur côté imaginaire. On peut parler de ce qui nous passionne et la place du jeu est vraiment importante pour moi, je trouve même qu’il n’y en a pas assez, le programme est tellement chargé. On peut faire plus de folies et ils embarquent tout de suite», note-t-il.

M. Leblanc, dont le parcours vers le préscolaire a aussi été sinueux – il a une formation en enseignement de l’histoire au secondaire – a pu compter sur des mentors et adore son boulot avec des enfants qui, de son propre aveu, «font des pas de géant».

«Oui, j’en apprends beaucoup aux enfants, mais ça m’oblige aussi à apprendre dans plusieurs domaines. Je n’avais jamais vraiment lu des livres sérieux sur les abeilles avant d’enseigner (rires)», affirme celui qui croit que de devenir papa a contribué à faire de lui un meilleur enseignant, plus empathique, et vice-versa.

Ils sont tous les deux convaincus qu’aussi rare soit-elle au préscolaire, l’image masculine peut être hautement bénéfique chez certains. Certaines histoires leur prouvent.

«À mon premier stage, il y avait deux enfants qui se tenaient souvent à coté de moi. J’ai réalisé plus tard que dans un cas, le papa était policier et travaillait beaucoup la nuit à ce moment-là, alors que dans l’autre, son papa était décédé dans un accident deux ans plus tôt. J’ai réalisé l’importance que ça avait, ça m’avait marqué et encouragé», raconte M. Lamoureux.

Tous soutiennent sans exception qu’il est difficile de mettre le doigt sur toutes les raisons expliquant la très faible proportion d’hommes qui optent pour l’enseignement au primaire. Mais la rémunération est une des multiples pistes à explorer, croient-ils.

«On pourrait jouer plus franc et de façon plus humaine. Pour encourager plus d’hommes, on devrait regarder comment on négocie avec le secteur plus féminin et comment on négocie dans des domaines plus masculins. On n’a pas le même ton avec Hydro-Québec qu’avec le milieu de l’éducation, la petite enfance et le milieu de la santé», de dire Simon Leblanc.

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