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LA NAISSANCE D’UN PAYS

DANIEL CÔTÉ

CRITIQUE

Bien plus que l’histoire d’un amour contrarié par le destin, le quatrième long métrage de Sébastien Pilote, Maria Chapdelaine, brosse le tableau d’un pays qui était encore neuf, en 1910, et des personnes qui ont eu le désir fou d’y planter leurs racines. L’action se déroule au Lac-Saint-Jean, mais reflète ce qu’il a fallu d’entêtement et de courage au quotidien pour repousser les limites du peuplement dans plusieurs régions du Québec.

Parce que nos ancêtres étaient guidés par leur foi, nous en avons gardé une image déformée par nos obsessions. Peut-être craignaientils Dieu et ses représentants, mais quoi d’autre? Le travail, de la barre du jour jusqu’à la tombée de la nuit? L’isolement qui vient avec le défrichage d’une terre au coeur d’une forêt hostile? La tenue d’une maison où le nombre de bouches à nourrir augmente chaque année? À toutes ces questions, la réponse est non.

Or, loin de présenter les colons sous un jour bêtement héroïque, le Saguenéen Sébastien Pilote laisse filtrer la part de doute qui les habitait. C’est ce qu’illustre la scène où Laura exprime son amertume. Elle qui rêvait de vivre dans un village établi n’en peut plus de déménager d’une terre à l’autre, toujours loin du monde, toujours dans des conditions de misère.

Les images somptueuses captées par Michel La Veaux montrent à quel point la forêt boréale est jolie, ce qui pourrait créer l’illusion que le Haut-du-Lac représentait un pays de cocagne. Cette beauté est bien réelle, mais un autre plan, l’un des plus éclairants du film, consiste en une vue aérienne de la propriété de Samuel Chapdelaine. Dès lors, on comprend la déception de Laura.

TOURMENT ET DÉSARROI

C’est aussi ce que devrait ressentir Maria, si ce n’était de ce François Paradis rencontré plus tôt à Saint-Prime. Femme de peu de mots, ayant encore un pied dans l’adolescence, elle entrevoit d’autres possibles avec ce coureur des bois, mais n’en dit rien à ses proches. Très juste, l’interprétation de Sara Montpetit rend bien son doux tourment, puis le désarroi qui s’ensuit. Et comme ses parents jadis, Maria sera bientôt confrontée à un choix qui ne sera pas seulement celui d’un mari. Son attachement à la terre sur laquelle elle a grandi sera mis à l’épreuve.

Le rythme du film se moule à la vie des colons, elle-même balisée par le cycle des saisons. Pour les spectateurs qui auront la sagesse de s’y abandonner, la récompense viendra du fait que cette plongée dans un monde étrange, à la fois loin et proche de nous, a quelque chose d’immersif, ce qui en fait autre chose que la simple transposition d’un roman.

C’est grâce à cette magie qu’on est avec la famille Chapdelaine lorsqu’elle soupe au coeur de l’hiver, dans une maison aussi faiblement éclairée que celle des mangeurs de pommes de terre représentés par Van Gogh. Et à l’opposé, on ressent le bonheur que provoque le retour des hommes du chantier, ainsi que la joyeuse musique que produisent leurs coups de hache sous un soleil radieux.

La mort et la vie se tiennent ainsi compagnie. Quelque part entre les deux, on voit naître un pays.

ARTS

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2021-09-25T07:00:00.0000000Z

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