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FAIRE SON SECONDAIRE EN QUATRE ANS

JONATHAN CUSTEAU Les Coops de l’information

«Les élèves doués sont faciles à négliger.»

C’est le constat de François Neveu, psychologue expert dans le domaine de la douance, qui plaide pour des programmes scolaires adaptés aux besoins de tous les élèves, y compris les plus talentueux. Après avoir développé un cheminement en six ans pour les élèves en difficulté, une école secondaire privée de Québec se tourne vers les élèves talentueux qui trouvent le rythme habituel trop lent. Le Collège de Champigny offrira dès l’an prochain, pour les élèves dits talentueux, un cheminement en quatre ans.

Ce nouveau programme pourrait bien être le seul en son genre au Québec. D’autres écoles primaires et secondaires offrent un cheminement accéléré, mais le temps gagné y est la plupart du temps réinvesti dans des activités parascolaires, un programme d’éducation internationale ou une concentration en arts, par exemple.

Au Collège de Champigny, le directeur de l’innovation et du développement pédagogique, Luc Baillargeon, assure que rien n’a été laissé au hasard dans l’élaboration du programme. «Les études démontrent qu’il est néfaste, quand un élève a un haut potentiel, de ne pas répondre à son rythme.»

Concrètement, on propose de condenser les trois premières années du secondaire en deux ans. Les élèves en accélération reprendront le rythme habituel en secondaire 4 et 5. En tout temps, ils devront réussir les mêmes examens que leurs compagnons.

La sélection des élèves sera rigoureuse, promet Luc Baillargeon. «Notre but est de comprendre le profil du jeune qui veut entrer dans la démarche. Il serait irresponsable d’accepter quelqu’un qui ne peut pas supporter une compression des apprentissages. Nous regarderons les bulletins, mais il y aura des tests psychométriques pour évaluer la maturité, l’engagement et la créativité. Il faut d’abord servir le besoin du jeune, pas le souhait du parent. Des spécialistes évalueront les élèves avant de les admettre dans le programme.»

Il ne sera jamais trop tard pour retourner dans le «profil régulier». Un suivi serré devrait permettre de détecter les élèves qui seraient inconfortables dans leur nouveau cheminement.

Luc Baillargeon n’a pas de craintes pour l’intégration des jeunes au collège ou même à leur entrée au cégep. «Nous ne voulons surtout pas les mettre sur un piédestal. Nous voulons d’abord répondre à ce qu’ils sont. En matière d’inclusion, ils suivront les mêmes cours de musique, de danse ou de sport que les autres. Ils auront aussi deux ans, à la fin du parcours, pour s’intégrer à la cohorte qui entrera en même temps qu’eux au cégep.»

Le Collègue de Champigny, qui compte environ 700 élèves, estime avoir suffisamment d’espace pour une classe supplémentaire de 30 élèves. Aucune projection n’a été établie quant au nombre d’adolescents qui pourraient tenter d’accéder au programme accéléré l’an prochain.

UN EXEMPLE POUR LES AUTRES ÉCOLES

L’initiative soulèverait déjà de l’intérêt au sein d’autres établissements privés du Québec. «Dans les écoles privées, il y a tellement de programmes et de concentrations pour répondre aux besoins particuliers. D’avoir un profil pour les élèves doués, c’est un début, mais je pense que ça va se répandre», commente Christian Leblanc, directeur à l’innovation et au développement pédagogique à la Fédération des établissements d’enseignement privés.

Selon lui, l’embûche la plus importante pour les écoles privées est d’offrir plusieurs programmes ou concentrations au sein d’un même établissement. «Les centres de services scolaires ont la possibilité de répartir leurs ressources entre plusieurs écoles, contrairement à nous.»

Le psychologue François Neveu croit fermement qu’il faut envisager plus de classes spécialisées comme celle du Collège de Champigny. «Dans notre système scolaire, plus on intègre tout le monde dans la même classe, plus le rythme diminue. Le principal enjeu, c’est l’ennui. Y a-t-il des effets catastrophiques? Non, il n’y a pas de décrochage massif. La plupart font avec, mais quand on arrive avec des programmes intéressants, ça les stimule.»

M. Neveu cite les anciens cheminements qui regroupaient les élèves en difficulté dans une classe «allégée» et les plus performants en «enrichi». «Autant c’était négatif pour ceux en difficulté, qui se sentaient mis à l’écart, autant c’était profitable pour ceux en enrichi. En éducation, on dit souvent que chaque élève est différent, mais la réponse est la même pour tous : un programme régulier.»

Pour bien réussir une accélération, Line Massé, professeure titulaire au département de psychoéducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières, prévient qu’il ne faut pas simplement voir la matière plus rapidement. «Il faut en voir moins. Une mauvaise forme d’accélération serait de voir plus vite tout ce qu’il y a au programme. Les élèves doués ont besoin de moins d’exercices pour faire des apprentissages. Donc on peut enlever des exercices une fois que la matière est maîtrisée.»

UN PROGRAMME CONTROVERSÉ?

L’accélération est-elle la solution pour assurer le plein développement d’élèves plus talentueux? François Neveu convient que de tous les modèles adaptés aux enfants talentueux, l’accélération scolaire «suscitera le plus de craintes». «C’est sans doute la modalité la plus controversée, probablement parce qu’il y a eu beaucoup de sauts de classe où c’étaient les parents qui poussaient.» Il insiste sur l’importance de valider que la demande de terminer le secondaire en quatre ans vient bien de l’élève.

Léandre Lapointe, responsable du regroupement privé à la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec, soulève des questions sur l’initiative du Collège de Champigny. «Je suis surpris de constater que la solution pour adapter l’enseignement aux besoins des élèves talentueux soit la vitesse.

Est-ce que c’est en allant plus vite qu’on fera mieux? En enseignement, on a toujours pensé que plus vite ne veut pas dire mieux. Ça soulève bien des questions.»

M. Lapointe précise que dans le contexte d’un retour de pandémie, il y a déjà un rattrapage à faire, non seulement dans les apprentissages, mais aussi dans l’autonomie et l’organisation. «Je trouve qu’on va vite en affaires pour développer un programme accéléré.»

Le Collège de Champigny travaille à bâtir son programme depuis plus d’un an et demi.

«Si le but est de les aider à avoir un meilleur apprentissage, oui. Mais si c’est du clientélisme, il y a un problème», ajoute Léandre Lapointe.

«Le suivi sera quand même important. Pour certains, ce sera un test de réalité. S’ils sont habitués d’être les meilleurs de la classe, et qu’on regroupe tous les meilleurs, quelqu’un sera forcément le plus faible», convient François Neveu. Des études confirment les bienfaits de l’accélération scolaire dans certaines situations. «Quand on met des protections, on ne voit pas beaucoup de cas où ça ne va pas bien. L’enfant sait dans quoi il s’embarque. Le seul effet notable, s’il y a une accélération au primaire, c’est que les garçons ont plus de difficulté à se faire des blondes. Dans la majorité des cas où les élèves sont passés par l’accélération, ils nous disent que si c’était à refaire, ils le referaient.»

Dans un rapport sur la réussite des élèves doués, publié en 2020, le ministère de l’Éducation du Québec estime que «l’accélération scolaire peut s’avérer pertinente pour certains élèves [...] dans la mesure où ce rythme correspond davantage à leurs besoins et à leurs capacités».

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