LeDroitSurMonOrdi.ca

On a perdu le sens de la mesure

PATRICK DUQUETTE

C’est à croire que ce maudit virus a infecté non seulement les corps, mais aussi les esprits. Avec comme résultat qu’on perd parfois tout sens de la mesure dans notre plus beau pays du monde.

Le gouvernement Legault a voté cette semaine une loi spéciale pour restreindre les manifestations près des écoles et des hôpitaux. Je suis de ceux qui pensent que cette loi est un mal nécessaire. Alors qu’à titre de journaliste, je suis un défenseur de la liberté d’expression. Alors qu’à titre d’ancien président de syndicat, je suis un défenseur du droit de manifester.

Mais en même temps, comment des gens, dans notre société, ont-ils pu en venir à juger acceptable de manifester devant des écoles primaires? De mêler des enfants en bas âge à leurs luttes politiques? Il n’y pas de mots pour dire à quel point c’est indécent. C’est une limite qui n’aurait jamais dû être franchie.

Même chose pour les manifs devant les hôpitaux.

Je suis allé voir cette manifestation anti-vaccin devant le campus Civic de l’hôpital d’Ottawa, il y a quelques jours. Ils étaient quelques dizaines à manifester «dans le calme», ont noté les reportages.

Le calme ne change rien. Leur seule présence devant un hôpital est violente. Les gens qui vont à l’hôpital vivent souvent la pire journée de leur vie. Ils sont malades, ils ont perdu un proche, ils attendent un résultat d’examen, ils combattent un cancer...

En un mot, ils sont vulnérables. Et de voir cette bande de manifestants, de l’autre côté de la rue, est intimidant. Ça n’a pas sa place.

Je pense aussi aux médecins, aux infirmières qui combattent la pandémie. Qui comptent sur la vaccination massive de la population (et du personnel de la santé) pour tenir le virus loin des hôpitaux. Et qui voient cette gang de gens, dehors, les narguer avec leurs pancartes «My body, my choice».

Nous vivons dans un pays libre. Ils ont droit de penser ce qu’ils veulent, et de le manifester sur la place publique.

Mais pas devant un hôpital. C’est l’évidence. Mais voilà que nos gouvernements se sentent obligés de voter des lois spéciales pour faire respecter l’évidence. Des gestes extrêmes attirent les réactions extrêmes. Au risque d’exacerber encore plus des tensions déjà vives.

J’entendais Maxime Bernier clamer qu’il était le grand gagnant de la dernière élection fédérale (même si le Parti populaire du Canada n’a pas fait élire un seul député) en incarnant le discours des anti-vaccins et de la liberté de choix.

À mes yeux, il incarne surtout un discours de l’extrême qui est malheureusement en train de se tailler une place dans l’espace politique au Canada. Un discours qui se nourrit outrageusement de mots comme «dictature et tyrannie». Un discours qui brandit, sans nuance, sans respect de l’histoire, des symboles lourds de sens comme l’étoile juive ou l’Apartheid. Le tout pour exciter à des fins politiques les esprits rebelles. C’est triste et dangereux pour la démocratie.

Vous savez peut-être que Jason Kenney, le très conservateur premier ministre de l’Alberta, s’est fait crucifier pendant des semaines par la Santé publique. Jusqu’à tout récemment, les gens se rassemblaient sans masques et sans distanciation là-bas.

Quand les hôpitaux se sont remplis de gens infectés par la COVID-19, Kenney a dû se résoudre à resserrer les mesures sanitaires.

Voyant cela, Maxime Bernier, encore plus libertaire que lui, l’a traité de «despote» sur les médias sociaux. Rien de moins! Si Kenney est un despote, alors je me demande bien quel mot il va lui rester pour qualifier François Legault. Un dictateur? Un tyran? Un Staline? Un Pol Pot?

Quand je vous parlais de démesure…

Parlant de premier ministre, Doug Ford a finalement suivi l’exemple du Québec en annonçant l’entrée en vigueur du passeport vaccinal en Ontario. Mais autant le Québec a vendu le passeport avec un parti pris pour les vaccinés, autant Ford a donné l’impression que d’imposer le passeport lui faisait l’effet d’une extraction de dents sans anesthésie. «C’est un mal nécessaire», a-t-il clamé. «Pas question que le passeport soit imposé un jour de plus que nécessaire!» «Ce n’est pas au gouvernement de dire aux gens et aux entreprises comment vivre leur vie!»

Quel acteur! Mais j’ai trouvé qu’il incarnait bien l’ambivalence ambiante.

Des gestes extrêmes attirent les réactions extrêmes. Au risque d’exacerber encore plus des tensions déjà vives.

ACTUALITÉS

fr-ca

2021-09-25T07:00:00.0000000Z

2021-09-25T07:00:00.0000000Z

https://ledroit.pressreader.com/article/281509344334688

Groupe Capitales Media